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BONNET DE MM. DE BRISSAC.

faitement belle et sage, qu’il maria au duc de Brissac, frère de la dernière maréchale de Villeroy. Ce fut elle qui, sans y penser, affubla MM. de Brissac de ce bonnet qu’ils ont mis, et, à leur exemple, que MM. de La Trémoille et de Luxembourg ont imité depuis, et avec autant de raison les uns que les autres. Ma sœur étoit à Brissac avec la maréchale de La Meilleraye, tante paternelle de son mari, extrêmement glorieuse et folle surtout de sa maison. Elle promenoit souvent Mme de Brissac dans une galerie où les trois maréchaux étoient peints avec le célèbre comte de Brissac, fils aîné du premier des trois, et autres ancêtres de parure, que la généalogie auroit peine à montrer. La maréchale admiroit ces grands hommes, les saluoit et leur faisoit faire des révérences par sa nièce. Elle qui étoit jeune et plaisante avec de l’esprit, se voulut divertir au milieu de l’ennui qu’elle éprouvoit à Brissac, et tout à coup se mit à dire à la maréchale : « Ma tante, voyez donc cette bonne tête ! il a l’air de ces anciens princes d’Italie, et je pense que si vous cherchiez bien, il se trouveroit qu’il l’a été. — Mais que vous avez d’esprit et de goût, ma nièce ! s’écria la maréchale ; je pense en vérité que vous avez raison. » Elle regarde ce vieux portrait, l’examine, ou en fait le semblant, et tout aussitôt déclare le bonhomme un ancien prince d’Italie, et se hâte d’aller apprendre cette découverte à son neveu qui n’en fit que rire. Peu de jours après elle trouva inutile d’être descendue d’un ancien prince d’Italie, si rien n’en rappeloit le souvenir. Elle imagine le bonnet des princes d’Allemagne avec quelque petite différence dérobée par la couronne qui l’enveloppe, envoie chercher furtivement un peintre à Angers et lui fait mettre ce bonnet aux armes de leurs carrosses. M. et Mme de Brissac l’apprirent bientôt. Ils en rirent de tout leur cœur. Mais le bonnet est demeuré et s’est appelé longtemps parmi eux le bonnet de ma tante.

Ce mariage ne fut jamais uni, le goût de M. de Brissac