Aller au contenu

Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/144

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
81
CONTRE LE MARQUIS DE VARDES.

généreux pour le faire, mais qu’il se confessoit vaincu. Alors mon père le releva et alla séparer les seconds. Le carrosse de mon père se trouvant par hasard le plus proche, Vardes parut pressé d’y monter. Mon père et La Roque Saint-Chamarant y montèrent avec lui, et le ramenèrent chez lui. Il se trouva mal en chemin, et blessé au bras. Ils se séparèrent civilement en braves gens, et mon père s’en alla chez lui.

Mme de Châtillon, depuis de Meckelbourg[1], logeoit dans une des dernières maisons, près de la porte Saint-Honoré, qui, au bruit des carrosses et des cochers, mit la tête à la fenêtre et vit froidement tout le combat. Il ne tarda pas à faire grand bruit. La reine, Monsieur, M. le Prince et tout ce qu’il y avoit de plus distingué, envoyèrent chez mon père, qui, peu après, alla au Palais-Royal et trouva la reine au cercle : on peut croire qu’il y essuya bien des questions et que ses réponses étoient bien préparées. Pendant qu’il recevoit tous ces compliments, Vardes avoit été conduit à la Bastille, par ordre de la reine, et y fut dix ou douze jours. Mon père ne cessa de paroître à la cour et partout, et d’être bien reçu partout. Telle fut la fin de cette affaire qui ne passa jamais que pour ce qu’elle parut, et Vardes pour l’agresseur. Il eut un grand chagrin de son triste succès, et un dépit amer de la Bastille. Oncques depuis il n’a revu mon père qu’à la mort ; à la vérité sa disgrâce le tint bien des années en Languedoc. Son retour fut de peu d’années ; il mourut à Paris, en 1688, d’une fort longue maladie. Sur la fin, il envoya prier mon père de l’aller voir. Il se raccommoda parfaitement avec lui et le pria de revenir ; mon père y retourna souvent, et le vit toujours dans le peu qu’il vécut depuis.

L’autre aventure étoit pour finir comme celle-ci, mais elle

  1. Élisabeth-Angélique de Montmorency-Bouteville, sœur du maréchal de Luxembourg, avait épousé en premières noces Gaspard de Coligny, duc de Châtillon, et en secondes noces Christian-Louis, duc de Mecklenbourg. On disait au xviie siècle Meckelbourg.