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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/172

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Daquin, premier médecin du roi, créature de Mme de Montespan, n’avoit rien perdu de son crédit par l’éloignement final de la maîtresse, mais il n’avoit jamais pu prendre avec Mme de Maintenon, à qui tout ce qui sentoit cet autre côté fut toujours plus que suspect. Daquin étoit grand courtisan, mais reître, avare, avide, et qui vouloit établir sa famille en toute façon. Son frère, médecin ordinaire, étoit moins que rien : et le fils du premier médecin, qu’il poussoit par le conseil et les intendances, valoit encore moins. Le roi peu à peu se lassoit de ses demandes et de ses importunités. Lorsque M. de Saint-Georges passa de Tours à Lyon, par la mort du frère du premier maréchal de Villeroy, commandant et lieutenant de roi de cette province et proprement le dernier seigneur de nos jours, Daquin avoit un fils abbé, de très-bonnes mœurs, de beaucoup d’esprit et de savoir, pour lequel il osa demander Tours de plein saut, et en presser le roi avec la dernière véhémence. Ce fut l’écueil où il se brisa ; Mme de Maintenon profita du dégoût où elle vit le roi d’un homme qui demandoit sans cesse, et qui avoit l’effronterie de vouloir faire son fils tout d’un coup archevêque al despetto de tous les abbés de la première qualité, et de tous les évêques du royaume ; et Tours en effet fut donné à l’abbé d’Hervault, qui avoit été longtemps auditeur de rote avec réputation, et qui y avoit bien fait. C’étoit un homme de condition, bien allié, et qui dans cet archevêché a grandement soutenu tout le bien qu’il y promettoit.

Mme de Maintenon, qui vouloit tenir le roi par toutes les avenues, et qui considéroit celle d’un premier médecin habile et homme d’esprit comme une des plus importantes, à mesure que le roi viendroit à vieillir et sa santé à s’affaiblir, sapoit depuis longtemps Daquin, et saisit ce moment de la prise si forte qu’il donna sur lui et de la colère du roi ; elle le résolut à le chasser, et en même temps à prendre Fagon en sa place. Ce fut un mardi, jour de la Toussaint, qui étoit le jour du travail chez elle de Pontchartrain, qui outre la