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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/18

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xiv
INTRODUCTION.

ture qui aurait d’autres couleurs, et peut-être aussi quelques autres traits de dessin ? Non, sans doute ; autant de peintres, autant de tableaux ; autant d’imaginations, autant de miroirs ; mais l’essentiel est qu’au moins il y ait par époque un de ces grands peintres, un de ces immenses miroirs réfléchissants ; car, lui absent, il n’y aura plus de tableaux du tout ; la vie de cette époque, avec le sentiment de la réalité, aura disparu, et vous pourrez ensuite faire et composer à loisir toutes vos belles narrations avec vos pièces dites positives et même avec vos tableaux d’histoire, arrangés après coup et symétriquement, et peignés comme on en voit, ces histoires, si vraies qu’elles soient quant aux résultats politiques, seront artificielles, et on le sentira ; et vous aurez beau faire, vous ne ferez pas qu’on ait vécu dans ce temps que vous racontez.

Avec Saint-Simon on a vécu en plein siècle de Louis XIV ; là est sa grande vérité. Est-ce que par lui nous ne connaissons pas (mais je dis connaître comme si nous les avions vus), et dans les traits même de leur physionomie et dans les moindres nuances, tous ces personnages et les plus marquants et les secondaires, et ceux qui ne font que passer et figurer ? Nous en savions les noms, qui n’avaient pour nous qu’une signification bien vague : les personnes, aujourd’hui, nous sont familières et présentes. Je prends au hasard les premiers que je rencontre : Louville, ce gentilhomme attaché au duc d’Anjou, au futur roi d’Espagne, et qui aura bientôt un rôle politique, — Saint-Simon se sert de lui tout d’abord pour faire sa demande d’une entrevue à M. de Beauvilliers ; il raconte ce qu’est Louville, et il ajoute tout courant : « Louville étoit d’ailleurs homme d’infiniment d’esprit, et qui, avec une imagination qui le rendoit toujours neuf et de la plus excellente compagnie, avoit toute la lumière et le sens des grandes affaires, et des plus solides et des meilleurs conseils. » Louville reviendra mainte fois dans les Mémoires ; lui-même il a laissé les siens : vous