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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/26

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INTRODUCTION.

à l’affût pour tout savoir et pour tout écrire. Sa liaison particulière avec les ducs de Chevreuse et de Beauvilliers, avec celui-ci surtout, « sans qui il ne faisait rien, » ne le confinait pas de ce côté, et il l’a dit très-joliment en faisant le portrait de l’abbé de Polignac, l’aimable et brillant séducteur dont ils furent les dupes : « Malheureusement pour moi, la charité ne me tenoit pas renfermé dans une bouteille comme les deux ducs. » Il rayonnait dans tous les sens, avait des ouvertures sur les cabales les plus opposées, et par amis, femmes jeunes ou vieilles, ou même valets, était tenu au courant, jour par jour, de tout ce qui se passait en plus d’une sphère. Tous ces bruits, toutes ces intelligences qui circulent rapidement dans les Cours et s’y dispersent, ne tombaient point chez lui en pure perte ; il en faisait amas pour nous et réservoir. Dans un précieux chapitre où il nous expose son procédé de conduite et son système d’information : « Je me suis donc trouvé instruit journellement, dit-il, de toutes choses par des canaux purs, directs et certains, et de toutes choses grandes et petites. Ma curiosité, indépendamment d’autres raisons, y trouvoit fort son compte ; et il faut avouer que, personnage ou nul, ce n’est que de cette sorte de nourriture que l’on vit dans les Cours, sans laquelle on n’y fait que languir. »

L’ambitieux pourtant ne laissait pas sa part d’espérances : il était jeune ; le roi était vieux ; Louis XIV vivant, il n’y avait rien à faire ; mais après lui le champ était ouvert et prêtait aux perspectives. Saint-Simon s’appliquait donc en secret dès lors à réformer l’État ; et comme il faisait chaque chose avec suite et en poussant jusqu’au bout sans se pouvoir déprendre, il avait tout écrit, ses plans, ses voies et moyens, ses combinaisons de Conseils substitués à la toute-puissance des secrétaires d’État ; il avait, lui aussi, son royaume de Salente tout prêt, et sa République de Platon en portefeuille, avec cela de particulier qu’en homme précis il avait déjà écrit les noms des gens qu’il croyait bons à mettre