Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/28

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
xxiv
INTRODUCTION.

teinte de ridicule, on y saisit une inspiration qui, dans Saint-Simon, fait honneur sinon au politique pratique, du moins au citoyen et à l’historien publiciste. Il sent la plaie et la faiblesse morale de la France au sortir des mains de Louis XIV ; tout a été abaissé, nivelé, réduit à l’état d’individu, il n’y a que le roi de grand. Il ne faut pas demander à Saint-Simon de penser au peuple dans le sens moderne ; il ne le voit pas, il ne le distingue pas de la populace ignorante et à jamais incapable. Reste la bourgeoisie qui fait la tête de ce peuple et qu’il voit déjà ambitieuse, habile, insolente, égoïste et repue, gouvernant le royaume par la personne des commis et secrétaires d’État, ou usurpant et singeant par les légistes une fausse autorité souveraine dans les Parlements. Quant à la noblesse dont il est, et sur laquelle seule il compte pour la générosité du sang et le dévouement à la patrie, il s’indigne de la trouver abaissée, dénaturée et comme dégradée par la politique des rois, et surtout du dernier : en accusant même presque exclusivement Louis XIV, il ne se dit pas assez que l’œuvre par lui consommée a été la politique constante des rois depuis Philippe Auguste, en y comprenant Henri IV et ce Louis XIII qu’il admire tant. Il s’indigne donc de voir « que cette noblesse françoise si célèbre, si illustre, est devenue un peuple presque de la même sorte que le peuple même, et seulement distingué de lui en ce que le peuple a la liberté de tout travail, de tout négoce, des armes même, au lieu que la noblesse est devenue un autre peuple qui n’a d’autre choix que de croupir dans une mortelle et ruineuse oisiveté qui la rend à charge et méprisée, ou d’aller à la guerre se faire tuer à travers les insultes des commis des secrétaires d’État et des secrétaires des intendants. » Il la voudrait relever, restaurer en ses anciens emplois, en ses charges et services utiles, avec tous les degrés et échelons de gentilhomme, de seigneur, de duc et pair. Les Pairs surtout, en qui il a mis toutes ses complaisances, et dont il fait la clef de voûte dans