Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/295

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

232 MORT DE M. DE LUXEMBOURG (1695)

fût agréablement mêlé. Alors il étoit inaccessible à tout, et s’il arrivoit quelque chose de pressé, c’étoit à Puységur à y donner ordre. Telle étoit à l’armée la vie de ce grand général, et telle encore à Paris, où la cour et le grand monde occupoient ses journées, et les soirs ses plaisirs. À la fin l’âge, le tempérament, la conformation le trahirent. Il tomba malade à Versailles d’une péripulmonie dont Fagon eut tout d’abord très-mauvaise opinion : sa porte fut assiégée de tout ce qu’il y avoit de plus grand ; les princes du sang n’en bougeoient, et Monsieur y alla plusieurs fois. Condamné par Fagon, Caretti, Italien à secrets qui avoient souvent réussi, l’entreprit et le soulagea, mais ce fut l’espérance de quelques moments. Le roi y envoya quelquefois par honneur plus que par sentiment. J’ai déjà fait remarquer qu’il ne l’aimoit point, mais le brillant de ses campagnes et la difficulté de le remplacer faisoient toute l’inquiétude. Devenu plus mal, le P. Bourdaloue, ce fameux jésuite que ses admirables sermons doivent immortaliser, s’empara tout à fait de lui. Il fut question de le raccommoder avec M. de Vendôme, que la jalousie de son amitié et de ses préférences pour M. le prince de Conti avoit fait éclater en rupture, et se réfugier à l’armée d’Italie, comme je l’ai déjà dit. Roquelaure, l’ami de tous et le confident de personne, les amena l’un après l’autre au lit de M. de Luxembourg où tout se passa de bonne grâce et en peu de paroles. Il reçut ses sacrements, témoigna de la religion et de la fermeté. Il mourut le matin du 4 janvier 1695, cinquième jour de sa maladie, et fut regretté de beaucoup de gens, quoique, comme particulier, estimé de personne, et aimé de fort peu.

Pendant sa maladie il fit faire un dernier effort auprès du roi par le duc de Chevreuse pour obtenir sa charge pour son fils, gendre de ce duc. Il en fut refusé, et le roi lui fit dire qu’il devoit se souvenir qu’il ne lui avoit donné le gouvernement de Normandie en survivance pour son fils, qu’à condition qu’il ne lui parleroit jamais de la charge. Tous