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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/314

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que je me mariois. La plaisanterie me secourut un temps, mais à la fin elle me nomma qui, et me montra qu’elle étoit bien instruite. Alors la trahison me sauta aux yeux, mais je demeurois ferme dans les termes où je m’étois mis, sans nier ni avouer rien, et me rabattant à dire qu’elle me marioit si bien que je ne pouvois que désirer que la chose fût véritable. Elle me prit en particulier à deux ou trois reprises, espérant de réussir mieux ainsi, qu’elle n’avoit fait par les reproches qu’elle et ses deux nièces m’avoient faits de mon peu de confiance ; et je vis que son dessein alloit à essayer de rompre l’affaire par un aveu qui en auroit éventé le secret, auquel le maréchal étoit fort attaché, ou, par une négative formelle, se fonder un sujet de plainte véritable de ce mensonge. Toutefois elle n’eut pas contentement, et ne put jamais tirer de moi ni l’un ni l’autre. Je sortis d’un entretien si pénible outré contre Phélypeaux. Un éclaircissement ou plutôt un reproche de sa trahison m’auroit mené trop loin avec un homme de sa profession et de son état. Je pris donc le parti du silence et de ne lui en faire aucun semblant, mais de vivre désormois avec la réserve que mérite la trahison. Mme de Bracciano me l’avoua dans les suites, et j’eus le plaisir qu’elle-même me conta sa folle espérance, et s’en moqua bien avec moi.

Mon mariage convenu et réglé, le maréchal de Lorges en parla au roi, pour lui et pour moi, pour ne rien éventer. Le roi eut la bonté de lui répondre qu’il ne pouvoit mieux faire, et de lui parler de moi fort obligeamment : il me le conta dans la suite avec plaisir. Je lui avois plu pendant la campagne que j’avois faite dans son armée, ou, dans la pensée de renouer avec moi, il m’avoit secrètement suivi de l’œil, et dès lors avoit résolu de me préférer à M. de Luxembourg, au duc de Montfort, fils du duc de Chevreuse, et à bien d’autres.

M. de Beauvilliers, sans qui je ne faisois rien, me porta tant qu’il put à la préférence de ce mariage sans aucun égard pour les vues de son neveu, nonobstant la liaison