Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/328

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trouvé. Il me crut et envoya au maréchal de Joyeuse, qui lui manda que les ennemis avoient voulu surprendre un poste que nous tenions dans l’église de Lehn, à cinq cents pas derrière notre droite au delà d’un ruisseau ; qu’ils en avoient été repoussés avec beaucoup de perte, et qu’il ne nous en avoit coûté que quelques soldats, avec le capitaine, qui étoit un fort bon officier et qui fut regretté.

Cependant nous manquions tout à fait de fourrage le nez dans les bois, fort engouffrés entre ces deux camps et acculés au Rhin, tandis que les ennemis avoient abondance de tout, et se faisoient apporter de loin tout ce qu’ils vouloient : c’étoit à qui décamperoit le dernier. Toute communication nous étoit coupée avec Philippsbourg, et tout moyen d’y aller repasser le Rhin sous la protection de la place. Le prince Louis avoit occupé le défilé des Capucins.

Lui et Schwartz étoient postés à nos deux flancs, et étoient ensemble beaucoup plus nombreux que nous, et leur situation rendoit fort délicat de défiler devant eux dans la plaine d’Hockenun. Le plus fâcheux inconvénient étoit l’humeur du maréchal de Joyeuse qui ne se communiquoit à personne, et à qui il échappoit des brusqueries si fréquentes et si fortes même aux officiers généraux les plus principaux, que personne n’osoit lui parler, et que chacun l’évitoit et le laissoit faire. Enfin l’excès du besoin lui fit prendre son parti. Il le communiqua d’abord au comte du Bourg, maréchal de camp, puis à Tallard, lieutenant général, enfin à Barbezières, un de nos meilleurs maréchaux de camp, qu’il chargea d’aller reconnoître ce qu’il vouloit savoir, et de l’exécution s’il la trouvoit possible. Barbezières prit ce qu’il voulut d’infanterie et de cavalerie, et en chemin on lui fit trouver beaucoup d’outils.

Je fus de ce détachement.

Barbezières en marchant m’apprit le dessein. Il alloit visiter les ruines de Manheim, que M. de Louvois avoit fait brûler en 1688, avec tout le Palatinat ; et il alloit voir si dans leurs derrières on pouvoit faire un pont de bateaux