Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/354

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assis sur un canapé et renversé ; il étoit mort. Le P. Gaillard fit son oraison funèbre à Notre-Dame ; la matière étoit plus que délicate, et la fin terrible. Le célèbre jésuite prit son parti ; il loua tout ce qui méritoit de l’être, puis tourna court sur la morale. Il fit un chef-d’œuvre d’éloquence et de piété.

Le roi se trouva fort soulagé, Mme de Maintenon encore davantage. M. de Reims eut sa place de proviseur de Sorbonne, M. de Meaux celle de supérieur de la maison de Navarre, et M. de Noyon son cordon bleu. Sa nomination au cardinalat et son archevêché demandent un peu plus de discussion. M. d’Orléans l’eut, et d’autant plus agréablement que, ni lui ni pas un des siens, n’avoient eu le temps d’y penser. M. de Paris étoit mort à Conflans au milieu du samedi 6 août ; le roi ne le sut que le soir. Le lundi matin 8 août, le roi, étant entré dans son cabinet pour donner l’ordre de sa journée à l’ordinaire, alla droit à l’évêque d’Orléans, qui se rangea même, croyant que le roi vouloit passer outre ; mais le roi le prit par le bras sans lui dire un mot, et le mena en laisse à l’autre bout du cabinet aux cardinaux de Bouillon et de Furstemberg qui causoient ensemble, et tout de suite leur dit : « Messieurs, je crois que vous me remercierez de vous donner un confrère comme M. d’Orléans, à qui je donne ma nomination au cardinalat. » À ce mot, l’évêque qui ne s’attendoit à rien moins, et qui ne savoit ce que le roi vouloit faire de le mener ainsi, se jeta à ses pieds et lui embrassa les genoux. Grands applaudissements des deux cardinaux, puis de tout ce qui se trouva dans le cabinet, ensuite de toute la cour et du public entier où ce prélat étoit dans une vénération singulière.

C’étoit un homme de moyenne taille, gros, court, entassé, le visage rouge et démêlé, un nez fort aquilin, de beaux yeux avec un air de candeur, de bénignité, de vertu qui captivoit en le voyant, et qui touchoit bien davantage en le connoissant. Il étoit frère du duc de Coislin, fils de la fille aînée du chancelier Séguier, qui, d’un second lit avec M. de