Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/410

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la poste, avoit imaginé le mariage de sa fille avec Torcy, pour réunir ces deux familles, et pour donner un bon maître à ce jeune survivancier des affaires étrangères, dans la décadence de santé où Croissy, perdu de goutte, étoit tombé, et qui étoit encore plus nécessaire si Croissy venoit à manquer. Dès qu’il fut mort, le roi s’en expliqua à Pomponne et à Torcy d’une manière à trancher toute espèce de difficultés possibles, et il régla que ce mariage se feroit sans délai ; que Torcy conserveroit la charge de son père ; qu’il ne seroit point encore ministre, mais que, sous l’inspection et la direction de Pomponne, il feroit toutes les dépêches ; que Pomponne les rapporteroit au conseil, et diroit après à Torcy les réponses qui y auroient été résolues pour les dresser en conséquence ; que les ambassadeurs iroient désormois chez Pomponne qui leur donneroit audience en présence de Torcy ; qu’enfin celui-ci auroit la charge de grand trésorier de l’ordre, que son père avoit eue à la mort de M. de Seignelay ; et à Versailles, le beau-père et le gendre partagèrent le logement de la charge de secrétaire d’État des affaires étrangères, pour être ensemble et travailler en commun plus facilement. De part et d’autre beaucoup de vertu dans les mariés, mais peu de bien, auquel le roi pourvut peu à peu par ses grâces, et d’abord par de gros brevets de retenue. Le mariage se fit à Paris le 13 août suivant chez M. de Pomponne, et ils vécurent tous dans une grande et estimable union.

En même temps moururent deux personnes fort âgées et depuis bien longtemps hors du monde : Mme de Bouteville, mère du maréchal de Luxembourg, à quatre-vingt-onze ans, qui avoit passé toute sa vie retirée à la campagne, d’où elle avoit vu de loin la brillante fortune de son fils et des siens, avec qui elle n’avoit jamais eu grand commerce, et le marquis de Chandenier, aîné de la maison de Rochechouart, si célèbre par sa disgrâce et par la magnanimité dont il la soutint plus de quarante ans jusqu’à sa mort. Il