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DAME DU PALAIS.

seiller d’État d’épée, et sa femme, la première des dames du palais, comme femme du chevalier d’honneur, et n’y en ayant point de titrées. Mme de Maintenon l’avoit goûtée ; sa naissance, sa vertu, sa figure, un mariage du goût du roi et peu du sien, dans lequel elle vécut comme un ange, la considération de son oncle et de la charge de son mari, tout cela la porta, et ce choix fut approuvé de tout le monde.

La comtesse de Roucy, j’en ai rapporté la raison en parlant de la duchesse d’Arpajon sa mère. C’étoit une personne extrêmement laide, qui avoit de l’esprit, fort glorieuse, pleine d’ambition, folle des moindres distinctions, engouée à l’excès de la cour, basse à proportion de la faveur et des besoins, qui cherchoit à faire des affaires à toutes mains, aigre à l’oreille jusqu’aux injures et fréquemment en querelle avec quelqu’un, toujours occupée de ses affaires que son opiniâtreté, son humeur et sa malhabileté perdoient, et qui vivoit noyée de biens, d’affaires et de créanciers, envieuse, haineuse, par conséquent peu aimée, et qui, pour couronner tout cela, ne manquoit point de grand’messes à la paroisse et rarement à communier tous les huit jours. Son mari n’avoit qu’une belle mais forte figure ; glorieux et bas plus qu’elle, panier percé qui jouoit tout et perdoit tout, toujours en course et à la chasse, dont la sottise lui avoit tourné à mérite, parce qu’il ne faisoit jalousie à personne, et dont la familiarité avec les valets le faisoit aimer. Il avoit aussi les dames pour lui, parce qu’il étoit leur fait, et avec toute sa bêtise un entregent de cour que l’usage du grand monde lui avoit donné. Il étoit de tout avec Monseigneur, et le roi le traitoit bien à cause de M. de La Rochefoucauld et des maréchaux de Duras et de Lorges, frères de sa mère, qui tous trois avoient fait de lui et de ses frères comme de leurs enfants, depuis que la révocation de l’édit de Nantes avoit fait sortir du royaume le comte et la comtesse de Roye ses père et mère. Son grand mérite étoit