Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/460

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d’esprit d’affaires et de ressources, et fort sobre et laborieux, extrêmement sûr et honnête homme. Je ne sais qui le produisit pour aller secrètement en Pologne, lorsqu’il y fut question de l’élection du comte de Saint-Paul. Il s’y conduisit fort bien, et y lia une grande amitié avec Morstein, grand trésorier de Pologne, qui étoit fort françois, et avoit fort travaillé pour l’élection du comte de Saint-Paul, qui ne manqua que par la mort de ce candidat, tué au passage du Rhin. Callières, qui se trouvoit bien de Morstein, demeura avec lui, et comme ce sénateur étoit tout françois, son témoignage fit employer Caillières, tout porté sur les lieux, en plusieurs négociations obscures dans le Nord, et même en Hollande. On fut content du compte qu’il en vint rendre plusieurs fois, et il s’acquit plusieurs amis partout où il avoit été. Morstein, s’étant brouillé en Pologne jusqu’à craindre pour sa liberté et pour sa vie, avoit, dans l’appréhension de l’orage naissant, fait passer de gros fonds en France, et les y suivit avec Caillières quand il crut qu’il en étoit temps. Il s’établit à Paris en homme fort riche, et logea son ami avec lui. Il n’avoit qu’un fils, dont j’ai parlé sur le siège de Namur, où il fut tué. Le père avoit acquis de grandes terres, entre autres celles de la maison de Vitry, et cherchoit à appuyer son fils d’une grande alliance. M. de Chevreuse, plus touché de la grande raison de sans dot, dans le mauvais état de ses affaires, que du désagrément de prendre un proscrit de Pologne tombé ici des nues pour gendre, en écouta volontiers la proposition. Caillières en fut le négociateur pour Morstein, et comme celui-ci étoit détaché de toute autre chose que de l’alliance, l’affaire fut bientôt conclue, et Caillières s’acquit les bonnes grâces de M. de Chevreuse. La mort du fils, puis du père, suivirent d’assez près le mariage. Caillières se livra à la protection de M. de Chevreuse, à qui il plut par ses lettres et par son esprit d’affaires et de raisonnement, et par le soin qu’il prit des affaires des deux filles que son gendre avoit laissées.