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[1692]
COMTE ET COMTESSE DE MAILLY.

nière de l’illustre maison de Coligny. Il étoit mort devant Philippsbourg en 1688, maréchal de camp, et n’avoit laissé qu’un fils et une fille. C’étoit à ce fils que les marquis et marquise de Mailly vouloient laisser leurs grands biens. Ils avoient troqué un fils et une fille, et fait prêtre malgré lui un autre fils ; une autre fille avoit épousé malgré eux l’aîné de la maison de Mailly.

Le comte de Mailly qui leur avoit échappé, ils ne vouloient lui rien donner ni le marier. C’étoit un homme de beaucoup d’ambition, qui se présentoit à tout, aimable s’il n’avoit pas été si audacieux, et qui avoit le nez tourné à la fortune. C’étoit une manière de favori de Monseigneur. Avec ces avances il se voulut appuyer de Mme de Maintenon pour sa fortune et pour obtenir un patrimoine de son père : c’est ce qui fit le mariage en faisant espérer monts et merveilles aux vieux Mailly qui vouloient du présent, et sentoient en gens d’esprit que le mariage fait, on les laisseroit là, comme il arriva. Mais quand on a compté sur un mariage de cette autorité, il ne se trouve plus de porte de derrière, et il leur fallut sauter le bâton d’assez mauvaise grâce. La nouvelle comtesse de Mailly avoit apporté tout le gauche de sa province dont, faute d’esprit, elle ne sut se défaire ; et enta dessus toute la gloire de la toute-puissante faveur de Mme de Maintenon : bonne femme et sûre amie d’ailleurs, quand elle l’étoit, noble, magnifique, mais glorieuse à l’excès et désagréable avec le gros du monde, avec peu de conduite et fort particulière. Les Mailly trouvèrent cette place avec raison bien mauvaise, mais il la fallut avaler.

M. de Fontaine-Martel, de bonne et ancienne maison des Martel et des Claire de Normandie, étoit un homme perdu de goutte et pauvre. Il étoit frère unique du marquis d’Arcy, dernier gouverneur de M. le duc de Chartres, qui avoit acquis une grande estime par la conduite qu’il lui avoit fait tenir à la guerre et dans le monde, qui y étoit lui-même fort estimé, et qui s’étoit fait auparavant ce dernier emploi une