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[1692]
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MARIAGE DU DUC DE CHARTRES.

qui arriva au même homme à tous les deux. C’étoit le fils de Montbron, qui n’étoit pas fait pour danser chez le roi, non plus que son père pour être chevalier de l’ordre, qui le fut pourtant en 1688, et qui étoit gouverneur de Cambrai, lieutenant général, et seul lieutenant général de Flandre, sous un nom qu’il ne put jamais prouver être le sien. Ce jeune homme, qui n’avoit encore que peu ou point paru à la cour, menoit Mlle de Mareuil, fille de la dame d’honneur de Mme la Duchesse (les bâtards de cette grande maison des Mareuil) et qui, non plus que lui, ne devoit pas être admise à cet honneur. On lui avoit demandé s’il dansoit bien, et il avoit répondu avec une confiance qui donna envie de trouver qu’il dansoit mal : on eut contentement. Dès la première révérence il se déconcerta. Plus de cadence dès les premiers pas. Il crut la rattraper et couvrit son défaut par des airs penchés et un haut port de bras ; ce ne fut qu’un ridicule de plus qui excita une risée qui en vint aux éclats, et qui, malgré le respect de la présence du roi qui avoit peine à s’empêcher de rire, dégénéra enfin en véritable huée. Le lendemain, au lieu de s’enfuir ou de se taire, il s’excusa sur la présence du roi qui l’avoit étourdi, et promit merveilles pour le bal qui devoit suivre. Il étoit de mes amis, et j’en souffrois. Je l’aurois même averti si le sort tout différent que j’avois eu ne m’eût fait craindre que mon avis n’eût pas de grâce. Dès qu’au second bal on le vit pris à danser, voilà les uns en pied, les plus reculés à l’escalade, et la huée si forte qu’elle fut poussée aux battements de mains. Chacun, et le roi même, rioit de tout son cœur, et la plupart en éclats, en telle sorte, que je ne crois pas que personne ait jamais rien essuyé de semblable. Aussi disparut-il incontinent après, et ne se remontra-t-il de longtemps. Il eut depuis le régiment Dauphin infanterie, et mourut tôt après sans avoir été marié, Il avoit beaucoup d’honneur et de valeur, et ce fut dommage. Ce fut le dernier de ces faux entés sur Montbron, c’est-à-dire son père qui lui survécut.