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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/17

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qu’il répondit que cela n’étoit pas possible, fondé sur ce que lui-même venoit de voir un instant auparavant travailler encore sur cette hauteur de notre droite ; qu’en même temps il lui vint un second avis semblable qui le fit aussitôt remonter à cheval et courir aux bords de la Murg, où ce capitaine prisonnier le suivit. Ils ne virent que l’arrière-garde se dérober à leurs yeux, ce qui remplit tellement le prince de Bade d’étonnement et d’admiration qu’il demanda à ce qui l’accompagnoit s’ils avoient jamais rien vu de pareil, et il ajouta que pour lui il n’avoit pas cru jusqu’alors qu’une armée si considérable et si nombreuse pût disparaître ainsi en un instant. Cette retraite en effet fut honorable et hardie, et en même temps sûre. Elle se fit en plein jour, mais si promptement que les ennemis n’en purent tirer aucun avantage ; et, quoique en plein jour, si proche de la nuit, que l’obscurité la favorisa presque autant que si on l’eût faite dans les ténèbres. Elle fut fière, belle, bien entendue, savante, et digne enfin d’un général qui avoit si bien appris sous les plus grands maîtres.

Sa gloire en cette occasion eût été sans regret, sans un accident qui arriva.

Blansac menoit une colonne d’infanterie et fut surpris de la nuit dans les bois.

Un petit parti qu’il avoit sur son aile entendit quelque cavalerie marcher fort près de soi. Ce peu de cavalerie étoit des Impériaux égarés, qui, reconnoissant le péril où ils se trouvoient, au lieu de répondre au qui-vive, se dirent entre eux, en allemand : « Sauvons-nous. » Il n’en fallut pas davantage pour leur attirer une décharge du petit parti françois, à laquelle ils répondirent à coups de pistolet. Ce bruit fit faire, sans le commandement de personne, une décharge de ce côté-là à toute la colonne d’infanterie, et Blansac, voulant s’avancer pour savoir ce que ce pouvoit être, en essuya une seconde. II eut le bonheur de n’en être point blessé, mais cinq pauvres capitaines furent tués et quelques subalternes blessés.

L’armée ne fut pourtant point troublée par cette escopetterie,