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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/194

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trois pas au plus, et personne devant moi. C’étoit le plus beau coup d’œil qu’on pût imaginer que toute cette armée, et ce nombre prodigieux de curieux de toutes conditions, à cheval et à pied, à distance des troupes pour ne les point embarrasser, et ce jeu des attaquants et des défendants à découvert, parce que, n’y ayant rien de sérieux que la montre, il n’y avoit de précautions à prendre pour les uns et les autres que la justesse des mouvements. Mais un spectacle d’une autre sorte, et que je peindrois dans quarante ans comme aujourd’hui, tant il me frappa, fut celui que, du haut de ce rempart, le roi donna à toute son armée, et à cette innombrable foule d’assistants de tous états, tant dans la plaine que dessus le rempart même.

Mme de Maintenon y étoit en face de la plaine et des troupes, dans sa chaise à porteurs, entre ses trois glaces, et ses porteurs retirés. Sur le bâton de devant, à gauche, étoit assise Mme la duchesse de Bourgogne, du même côté, en arrière et en demi-cercle, debout, Mme la Duchesse, Mme la princesse de Conti, et toutes les dames, et derrière elles des hommes. À la glace droite de la chaise, le roi, debout, et un peu en arrière un demi-cercle de ce qu’il y avoit en hommes de plus distingué. Le roi étoit presque toujours découvert, et à tous moments se baissoit dans la glace pour parler à Mme de Maintenon, pour lui expliquer tout ce qu’elle voyoit et les raisons de chaque chose. À chaque fois, elle avoit l’honnêteté d’ouvrir sa glace de quatre ou cinq doigts, jamais de la moitié, car j’y pris garde, et j’avoue que je fus plus attentif à ce spectacle qu’à celui des troupes. Quelquefois elle ouvroit pour quelques questions au roi, mais presque toujours c’étoit lui qui, sans attendre qu’elle lui parlât, se baissoit tout à fait pour l’instruire, et quelquefois qu’elle n’y prenoit pas garde, il frappoit contre la glace pour la faire ouvrir. Jamais il ne parla qu’à elle, hors pour donner des ordres en peu de mots et rarement, et quelques réponses à Mme la duchesse de Bourgogne qui tâchoit de se