Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/200

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je lui répondois étoit des compliments, que ce n’étoit point cela qu’il lui falloit, c’étoit parler franchement, et nettement lui accorder ce qu’il désiroit passionnément et qu’il me demandoit instamment ; et tout de suite il ajouta : « l’honneur de votre amitié, et que j’y puisse compter comme je vous prie de compter sur la mienne, car vous êtes très-vrai, et si vous me l’accordez, je sais que j’en puis être assuré. » Ma surprise fut extrême à mon âge, et je me rabattis sur l’honneur et la disproportion d’âge et d’emplois. Il m’interrompit, et me serrant de plus en plus près, il me dit que je voyois avec quelle franchise il me parloit, que c’étoit tout de bon et de tout son cœur qu’il désiroit et me demandoit mon amitié, et qu’il me demandoit réponse précise. Je supprime les choses honnêtes dont cela fut accompagné. Je sentis en effet qu’il me parloit fort sérieusement, et que c’étoit un engagement que nous allions prendre ensemble ; je pris mon parti, et après un mot de reconnoissance, d’honneur, de désir, je lui dis que pour lui répondre nettement il falloit lui avouer que j’avois une amitié qui passeroit toujours devant toute autre, que c’étoit celle qui me liait intimement à M. de Beauvilliers, dont je savois qu’il n’étoit pas ami ; mais que s’il vouloit encore de mon amitié à cette condition, je serois ravi de la lui donner, et comblé d’avoir la sienne. Dans l’instant il m’embrassa, me dit que c’étoit là parler de bonne foi, qu’il m’en estimoit davantage, qu’il n’en désiroit que plus ardemment mon amitié, et nous nous la promîmes l’un à l’autre. Nous nous sommes réciproquement tenu parole plénièrement. Elle a réciproquement duré jusqu’à sa mort dans la plus grande intimité et dans la confiance la plus entière. Au sortir de chez lui, ému encore d’une chose qui m’avoit autant surpris, j’allai le dire à M. de Beauvilliers qui m’embrassa tendrement, et qui m’assura qu’il n’étoit pas surpris du désir de M. de Pontchartrain, et beaucoup moins de ma conduite sur lui-même. Le rare est que Pontchartrain n’en dit