Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/245

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dit autant, et qu’il ne s’avanceroit point pour prendre l’ordre que je n’eusse parlé. Je m’approchai de la cheminée du salon, et quand le roi vint, je me contentai de le voir aller se déshabiller. Comme il eut donné le bonsoir, et qu’à son ordinaire il se fut retiré le dos au coin de la cheminée pour donner l’ordre, tandis que tout ce qui n’avoit pas les entrées sortoit, je m’avançai à lui, et lui aussitôt se baissa pour m’écouter en me regardant fixement. Je lui dis que je venois d’apprendre tout à l’heure la plainte que M. le Grand lui avoit faite de Mme de Saint-Simon, que rien au monde ne me touchoit tant que l’honneur de son estime et de son approbation, et que je le suppliois de me permettre de lui conter le fait, et tout de suite j’enfile ma narration telle que je l’ai faite ci-dessus, et sans en oublier une seule circonstance. Je m’en tins là, suivant le conseil de M. de La Rochefoucauld. Je n’ajoutai aucune plainte ni des Lorrains ni de M. le Grand, et je me contentai de lui avoir donné, par le simple et véritable exposé du fait, un parfoit démenti. Le roi ne m’interrompit jamais d’un seul mot depuis que j’eus ouvert la bouche. Quand j’eus fini, il me répondit : « Cela est bien, monsieur, d’un air très-gracieux et content, il n’y a rien à cela, » en souriant avec un signe de tête comme je me retirois. Après quelques pas faits, je me rapprochai du roi avec vivacité, je l’assurai de nouveau que tout ce que je lui avois avancé étoit vrai de point en point, et je reçus la même réponse.

L’heure de parler au roi étoit tellement indue, les spectateurs avoient trouvé le discours si long et si actif de ma part, et si bien reçu à l’air du roi, que leur curiosité étoit extrême de savoir ce qui m’avoit pu engager à une démarche si peu usitée, quoique la plupart se doutassent bien en gros qu’il s’agissoit de l’affaire du matin. Beaucoup de courtisans attendoient dans les antichambres.

Le maréchal de Boufflers prit l’ordre, et me trouva avec le duc d’Humières. Je leur rendis ma conversation, je fis ensuite quelques