Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/324

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qui les voyoit jouer de la galerie : « Par… ! sire, répondit Villacerf, cela n’est pas mauvais ; s’il ne tient qu’à faire juger nos femmes, je vais envoyer quérir la mienne. » Le roi et tout ce qui étoit là rirent beaucoup de la saillie. Il étoit cousin germain, et dans la plus intime et totale confiance de M. de Louvois, qui, du su du roi, l’avoit fait entrer en beaucoup de choses secrètes, et le roi avoit toujours conservé pour lui beaucoup d’estime, d’amitié et de distinction. C’étoit un homme brusque, mais franc, vrai, droit, serviable et très-bon ami ; il en avoit beaucoup, et fut généralement plaint et regretté.

La comtesse de Fiesque, cousine germaine paternelle de la feue duchesse d’Arpajon, de feu Thury et du marquis de Beuvron, mourut pendant Fontainebleau, extrêmement âgée. Elle avoit passé sa vie dans le plus frivole, du grand monde ; deux traits entre deux mille la caractériseront. Elle n’avoit presque rien, parce qu’elle avoit tout fricassé ou laissé piller à ses gens d’affaires ; tout au commencement de ces magnifiques glaces, alors fort rares et fort chères, elle en acheta un parfaitement beau miroir. « Hé, comtesse, lui dirent ses amis, où avez-vous pris cela ? — J’avois, dite-elle, une méchante terre, et qui ne me rapportoit que du blé, je l’ai vendue, et j’en ai eu ce miroir. Est-ce que je n’ai pas fait merveilles ? du blé ou ce beau miroir !  » Une autre fois, elle harangua son fils, qui n’avoit presque rien, pour l’engager à se marier, et à se remplumer par un riche mariage, et la voilà à moraliser sur l’orgueil qui meurt de faim plutôt que faire une mésalliance. Son fils, qui n’avoit aucune envie de se marier, la laissa dire, puis, voulant voir où cela irait, fit semblant de se rendre à ses raisons. La voilà ravie ! Elle lui étale le parti, les richesses, l’aisance, une fille unique, les meilleures gens du monde, et qui seroient ravis, auprès de qui elle avoit des amis qui feroient immanquablement réussir l’affaire, une jolie figure, bien élevée et d’un âge à souhait. Après une description si détaillée,