Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/366

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sa grâce. Le roi lui fit dire de ne se pas présenter devant lui, et l’exécution fut faite à la Grève, le mercredi 17 juin après midi. Toutes les fenêtres de l’hôtel de ville, toutes celles de la place et des rues qui y conduisent depuis la Conciergerie du palais où elle était, furent remplies de spectateurs hommes et femmes, et de beaucoup de nom, et de plusieurs de distinction. Il y eut même des amis et des amies de cette malheureuse qui n’eurent pas honte et horreur d’y aller. Dans les rues la foule étoit à ne pouvoir passer ; en général on en avoit pitié et on souhaitoit sa grâce, et c’étoit avec cela à qui l’irait voir mourir. Et voilà le monde si peu raisonnable et si peu d’accord avec soimême ! Tout à la fin de l’année, Guiscard perdit son fils unique, de la petite vérole, à Vienne. Il l’avoit envoyé voyager en ce temps de paix, ce qui rendit sa sœur une riche héritière.

Barin mourut aussi. Il étoit premier maître d’hôtel de Monsieur. C’étoit, je pense, un homme d’assez peu, mais de très-bonne mine, et fort grand et bien fait, quoique déjà vieux, ce qui lui avoit fort servi auprès des dames. Il avoit de l’esprit, du sens, de l’adresse, de l’intrigue, de la conduite, de l’honneur, et un grand attachement et une grande fidélité pour ses amis. Il avoit été fort avant dans les affaires de Mademoiselle, de M. de Lauzun et de Mme de Montespan, et j’en ai vu quantité de lettres fort curieuses à M. de Lauzun sur tout cela vers la fin de sa prison[1]. Les ministres d’alors en faisoient cas, et il a toujours été dans le monde sur un bien meilleur pied que son état. Il n’étoit point marié, et mourut fort peu riche, rangé et tout à fait désintéressé, et longtemps avant sa mort assez retiré, et fort homme de bien.

  1. Lauzun avait été enfermé à Pignerol en 1611 ; il en sortit en 1681, en renonçant au duché d’Aumale et au comté d’Eu que lui avait donnés Mademoiselle.