Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/38

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beau et parfaitement bien fait, et en conservoit encore des restes ; il avoit été nourri page du prince d’Orange. Il s’étoit personnellement attaché à lui. Le prince d’Orange lui trouva de l’esprit, du sens, de l’entregent et propre à l’employer en beaucoup de choses. Il en fit son plus cher favori, et lui communiquoit ses secrets, autant qu’un homme aussi profond et aussi caché que l’étoit le prince d’Orange en étoit capable. Bentinck discret, secret, poli aux autres, fidèle à son maître, adroit en affaires, le servit très-utilement. Il eut la première confiance du projet et de l’exécution de la révolution d’Angleterre ; il y accompagna le prince d’Orange, l’y servit bien ; il en fut fait comte de Portland, chevalier de la Jarretière et fut comblé de biens ; il servoit de lieutenant général dans son armée. Il avoit eu commerce avec le maréchal de Boufflers, à sa sortie de Namur, et pendant qu’il fut arrêté.

Le prince d’Orange n’ignoroit ni le caractère ni le degré de confiance et de faveur auprès du roi, des généraux de ses armées. Il aima mieux traiter avec un homme droit, franc et libéral, tel qu’étoit Boufflers, qu’avec l’emphase, les grands airs et la vanité du maréchal de Villeroy. Il ne craignit pas plus l’esprit et les lumières de l’un que de l’autre, et il comprit que ce qui se passeroit par eux irait droit au roi et reviendroit de même du roi à eux, mais que par Boufflers ce seroit avec plus de précision et de sûreté, parce qu’il n’y ajouteroit rien du sien, ni à informer le roi, ni à donner ses réponses.

Boufflers répondit à un gentilhomme du pays chargé de cette proposition de Portland, qu’il en écriroit au roi par un courrier exprès, et ce courrier lui apporta fort promptement l’ordre d’accorder la conférence, et d’écouter ce qu’on lui voudroit dire. Elle se tint presqu’à la tête des gardes avancées de l’armée du maréchal de Boufflers. Il y mena peu de suite, Portland encore moins, qui ne s’approchèrent point, et demeurèrent à cheval chacune de son côté. Le maréchal et Portland s’avancèrent seuls avec quatre