Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/448

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

d’eux en est demeuré en reste. Pour achever donc ceci, la déclaration du roi d’Espagne fit aller ma mère à Versailles au retour de Fontainebleau, où elle n’alloit pas souvent. Elle rencontra M. le Prince, qui dès qu’il l’aperçut traversa tout ce grand salon qui est devant cette petite pièce qui mène à la grande salle des gardes, vint à elle, lui dit qu’il mouroit de honte de la rencontrer sans avoir encore été chez elle lui témoigner sa reconnoissance de l’honneur qu’elle lui avoit fait, et de là toutes sortes de compliments. Huit ou dix jours après, il la vint voir à Paris, la trouva, et recommença les compliments. Il y demeura une demi-heure, et ne voulut jamais que ma mère passât au delà de quelques pas hors de la porte du lieu où elle l’avoit reçu. Il ne faut pas oublier que ce fut un gentilhomme ordinaire du roi qui alla de sa part faire les compliments à l’hôtel de Condé, et que, trois mois auparavant, Souvré, maître de la garderobe, y avoit été les faire, sur la mort d’un enfant au maillot de Mme du Maine.

D’Antin, pour un homme d’autant d’esprit et aussi versé à la cour, fit en ce temps-ci une bien ridicule démarche. Mme de Montespan, comme on l’a vu plus haut, entre autres pratiques de pénitence, travailloit à lui former des biens, mais elle ne vouloit pas travailler en l’air. Il étoit de toute sa vie dans le plus gros jeu, et faisoit toutes sortes d’autres dépenses ; elle vouloit donc qu’il se réglât et qu’il quittât le jeu, parce que cela n’est pas possible à un homme qui joue. Elle lui promit une augmentation de douze mille livres par an à cette condition, mais elle voulut le lier, et lui pour la satisfaire ne trouva point de lien plus fort que de prier M. le comte de Toulouse de dire au roi de sa part qu’il ne joueroit de sa vie. La réponse du roi fut sèche. Il demanda au comte de Toulouse qu’est-ce que cela lui faisoit que d’Antin jouât ou non. On le sut, et le courtisan, qui n’est pas bon, en fit beaucoup de risées. Ce fut le serment d’un joueur ; il ne put renoncer pour longtemps aux jeux de