Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/69

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depuis que croître. Il reparut à la cour le jour du dernier bal, et fut très-bien reçu du roi, et par conséquent de toute la cour.

Tessé avoit marié, l’année précédente, sa fille aînée à La Varenne, moyennant la lieutenance générale d’Anjou, qui étoit dans sa famille depuis Henri IV, qui la donna avec la Flèche à ce La Varenne si connu dans tous les Mémoires de ces temps-là pour avoir eu l’esprit et l’adresse de devenir une espèce de personnage, de marmiton, puis de cuisinier, enfin de portemanteau d’Henri IV qu’il servoit dans ses plaisirs, et qu’il servit depuis dans ses affaires. Ce fut lui qui eut la principale part au retour des jésuites en France, et à ce magnifique établissement qu’ils ont à la Flèche dont il partagea la seigneurie avec eux. Il s’y retira, à la mort d’Henri IV, très-riche et vieux, et y vécut fort à son aise. C’étoit beaucoup la mode des oiseaux en ce temps-là, et il s’amusoit fort à voler. Une pie s’étant relaissée un jour dans un arbre, on ne pouvoit l’en faire sortir à coups de pierres et de bâton ; le vieux La Varenne et tous les chasseurs étoient autour de l’arbre à tâcher de l’en faire partir, lorsque la pie, importunée de tout ce bruit, se mit à crier de toute sa force au Maquereau, et le répéta sans fin. La Varenne, qui devoit toute sa fortune à ce métier, se mit tout d’un coup dans la tête que, par un miracle, comme le reproche que fit l’âne de Balaam à ce faux prophète, la pie lui reprochoit ses péchés. Il en fut si troublé qu’il ne put s’empêcher de le montrer, puis, agité de plus en plus, de le dire à la compagnie ; elle en rit d’abord, mais, voyant ce bonhomme changer beaucoup, puis se trouver mal, on tâcha de lui faire entendre que cette pie avoit apparemment appris, à parler dans quelque village voisin et à dire cette sottise, et qu’elle s’étoit échappée, et s’étoit trouvée là. Il n’y avoit en effet pas autre chose à en croire, mais La Varenne ne put jamais en être persuadé. Il fallut du pied de l’arbre le ramener chez lui ; il y arriva avec la fièvre et