Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/15

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que la maison d’Autriche avoit accumulées sur la tête de son aîné.

Il falloit lutter contre tout le crédit et la puissance de la reine, si grandement établie, et de nouveau ulcérée contre la France qui n’avoit pas voulu que Harcourt écoutât rien de sa part par l’amirante. Enfin c’étoit une trame qu’il falloit ourdir sous les yeux du comte d’Harrach, ambassadeur de l’empereur, qui avoit sa brigue dès longtemps formée et les yeux bien ouverts.

Quels que fussent ces obstacles, la grandeur de leur objet les roidit contre. Ils commencèrent par attaquer la reine par l’autorité du conseil, qui se joignit si puissamment à la voix publique contre la faveur et les rapines de la Berlips, sa favorite, que cette Allemande n’osa en soutenir le choc dans l’état de dépérissement où elle voyoit le roi d’Espagne, et se trouva heureuse d’emporter en Allemagne les trésors qu’elle avoit acquis, pour ne s’exposer point aux événements d’une révolution en un pays où elle étoit si haïe, et d’emmener sa fille, à qui le dernier effort du crédit de la reine fut de faire donner une promesse du roi d’Espagne par écrit d’un collier de la Toison d’or à quiconque elle épouseroit. Avec cela la Berlips partit à la hâte, traversa la France, et se retira de façon qu’on n’en entendit plus parler. C’étoit un coup de partie.

La reine, bonne et peu capable, ne pouvoit rien tirer d’elle-même. Il lui falloit toujours quelqu’un qui la gouvernât. La Berlips, pour régner sur elle à son aise, s’étoit bien gardée de la laisser approcher, tellement que, privée de cette favorite, elle se trouvoit sans conseil, sans secours et sans ressource en elle-même, et le temps selon toute apparence trop court pour qu’une autre eût le loisir de l’empaumer assez pour la rendre embarrassante pendant le reste de la vie du roi. Ce fut pour achever de se mettre en liberté à cet égard que, de concert encore avec le public qui gémissoit sous le poids des Allemands du prince de Darmstadt qui maîtrisoient Madrid et les environs, le conseil fit encore un