Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/216

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de l’empereur, qui ne lui avoit pas tenu tout ce qu’il lui avoit promis, ni du roi Guillaume, qui l’avoit fort maltraité, pour s’être détaché d’eux par le traité de Turin, ne voyoit qu’avec un extrême regret la monarchie d’Espagne devenue française, et lui enfermé entre le grand-père et le petitfils, par le Milanois et la France. Il ne se prêtoit donc que pour tirer parti de ce qu’il ne pouvoit empêcher, et il désiroit avec ardeur le rétablissement de l’empereur en Italie ; comme il ne parut que trop tôt. En attendant, il parut faire avec soin toutes les fonctions de généralissime.

Les armées cependant s’approchoient, celle des Impériaux gagnant toujours du terrain, et elles en vinrent au point que ce fut à qui s’empareroit les premiers du poste de Chiari. Le prince Eugène fut le plus diligent. C’étoit un gros lieu fermé de murailles, sur un tertre imperceptible, mais qui déroboit la vue de ce qui étoit derrière, au bas d’un ruisseau qui couloit tout auprès. M. de Savoie, trop bon général pour tomber dans la même faute que le maréchal d’Humières avoit faite à Valcourt, l’imita pourtant de point en point, et avec un plus fâcheux succès, parce qu’il s’y opiniâtra davantage. Il fit attaquer ce poste le 1er septembre, par huit brigades d’infanterie. Il augmenta toujours, et s’exposa extrêmement lui-même pour gagner estime et confiance, et montroit qu’il y alloit avec franchise ; mais il attaquoit des murailles et une armée entière qui rafraîchissoit toujours, tellement qu’après avoir bien fait tuer du monde il fallut se retirer honteusement. Cette folie dans un prince qui savoit le métier de la guerre, et à qui le péril personnel ne coûtoit rien, fut dès lors très suspecte. Villeroy s’y montra fort partout, et Catinat, sans se mêler de rien, sembla y chercher la mort, qui n’osa l’atteindre. Nous y perdîmes cinq ou six colonels peu marqués, et quantité de monde, et eûmes force blessés. Cette action, où la valeur française parut beaucoup, étonna fort notre armée, et encouragea beaucoup celle des ennemis, qui firent à peu