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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/297

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n’osa plus vivre avec le roi d’Angleterre comme il avoit osé commencer.

On a vu ci-dessus l’état des bâtards en Espagne. Ceux des rois en ont profité. Le premier don Juan eut de grands emplois, s’illustra de la fameuse mais peu fructueuse victoire navale de Lépante, passa de vice-royauté en vice-royauté, parce que Philippe II avoit peur de son mérite, et le tint tant qu’il put éloigné. Avec tant d’éclat il acquit l’altesse comme les infants, en prit presque les manières, eut une maison fort considérable, et alla finir de bonne heure aux Pays-Bas de la manière que personne n’ignore. Cet exemple fraya le chemin de la grandeur au second don Juan, qui n’avoit pas moins de mérite que le premier, quoique resserré dans des bornes plus étroites. Il la sut soutenir par les cabales et un parti qui fit pâlir souvent la reine mère de Charles II, régente, et qui lui arracha ses plus confidents serviteurs ; il n’est donc pas surprenant qu’il ait eu l’altesse et presque la maison des infants, et que les imitations de beaucoup de leurs manières lui aient été souffertes par un parti de presque toute l’Espagne, qui ne se maintenoit, ne parvenoit, et ne profitoit contre la régente et le gouvernement qu’à l’ombre de sa protection, et qui, à la majorité de Charles II, chassa cette reine à Tolède, d’où elle ne revint à la cour qu’en 1679, après la mort de don Juan, qui régna toujours sous le nom du roi, et qui n’oublia aucun de tous les avantages que peuvent donner l’exemple et la puissance, et le grand parti qu’il s’étoit fait. Tous les deux don Juan moururent sans enfants après avoir été à la tête des armées et des provinces, le premier à trente-deux ans, l’autre à cinquante. Je parlerai en son temps de l’altesse et du rang que Mme des Ursins et M. de Vendôme usurpèrent en Espagne, et qui leur fut à tous deux diversement funeste.

Tels sont à peu près les rangs, les prérogatives, les distinctions, les honneurs des grands d’Espagne. On n’y voit