Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/31

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qui ne lui avoit été donné en distance si éloignée et de si fâcheuse garde, que pour le lui ôter à la première occasion ; et que, bien loin de devenir la dictatrice de l’Europe par une modération si étrange et que nulle équité ne prétextoit, la France acquerroit une réputation de pusillanimité qui seroit attribuée aux dangers de la dernière guerre et à l’exténuation qui lui en seroit restée, et qu’elle deviendroit la risée de ses faux amis avec bien plus de raison que Louis XII et François Ier ne l’avoient été de Ferdinand le Catholique, de Charles V, des papes et des Vénitiens, par leur rare attachement à leur foi et à leurs paroles positives desquelles ici il n’y a rien qui puisse être pris en la moindre parité ; enfin qu’il convenoit qu’une si riche succession ne se recueilleroit pas sans guerre, mais qu’il falloit lui accorder aussi que l’empereur ne souffriroit pas plus paisiblement l’exécution du traité de partage que celle du testament ; que jamais il n’avoit voulu y consentir, qu’il avoit tout tenté pour s’y opposer, qu’il n’étoit occupé qu’à des levées et à des alliances ; que guerre pour guerre, il valoit mieux la faire à mains garnies et ne se pas montrer à la face de l’univers indignes de la plus haute fortune et la moins imaginée.

Ces deux avis, dont je ne donne ici que le précis, furent beaucoup plus étendus de part et d’autre, et fort disputés par force répliques des deux côtés.

Monseigneur, tout noyé qu’il fit dans la graisse et dans l’apathie, parut un autre homme dans tous ces deux conseils, à la grande surprise du roi et des assistants. Quand ce fut à lui à parler, les ripostes finies, il s’expliqua avec force pour l’acceptation du testament, et reprit une partie des meilleures raisons du chancelier. Puis se tournant vers le roi d’un air respectueux, mais ferme, il lui dit qu’après avoir dit son avis comme les autres, il prenoit la liberté de lui demander son héritage, puisqu’il étoit en état de l’accepter ; que la monarchie d’Espagne étoit le bien de la reine sa mère, par conséquent le sien, et pour la tranquillité de l’Europe celui de son second fils, à qui il le