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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/32

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cédoit de tout son cœur, mais qu’il n’en quitteroit pas un seul pouce de terre à nul autre ; que sa demande étoit juste et conforme à l’honneur du roi, et à l’intérêt et à la grandeur de sa couronne, et qu’il espéroit bien aussi qu’elle ne lui seroit pas refusée. Cela dit d’un visage enflammé surprit à l’excès. Le roi l’écouta fort attentivement, puis dit à Mme de Maintenon : « Et vous, madame, que dites-vous sur tout ceci ?  » Elle à faire la modeste ; mais enfin pressée et même commandée, elle dit deux mots d’un bienséant embarras, puis en peu de paroles se mit sur les louanges de Monseigneur qu’elle craignoit et n’aimoit guère, ni lui elle, et fut enfin d’avis d’accepter le testament.

Le roi conclut sans s’ouvrir. Il dit qu’il avoit tout bien ouï, et compris tout ce qui avoit été dit de part et d’autre ; qu’il y avoit de grandes raisons des deux côtés, que l’affaire méritoit bien de dormir dessus et d’attendre vingt-quatre heures ce qui pourroit venir d’Espagne, et si les Espagnols seroient du même avis que leur roi. Il congédia le conseil, à qui il ordonna de se retrouver le lendemain au soir au même lieu et finit sa journée, comme on l’a cuit, entre Mme de Maintenon, Torcy qu’il fit rester, et Barbezieux qu’il envoya chercher.

Le mercredi 10 novembre, il arriva plusieurs courriers d’Espagne, dont un ne fit que passer portant des ordres à l’électeur de Bavière à Bruxelles. On eut par eux tout ce qui pouvoit achever de déterminer le roi à l’acceptation du testament, c’est-à-dire le vœu des seigneurs et des peuples, autant que la brièveté du temps le pouvoit permettre ; de sorte que, tout ayant été lu et discuté chez Mme de Maintenon au conseil que le roi au retour de la chasse y tint comme la veille, il s’y détermina à l’acceptation. Le lendemain matin, jeudi, le roi, entre son lever et sa messe, donna audience à l’ambassadeur d’Espagne, à laquelle Monseigneur et Torcy furent présents. L’ambassadeur présenta, de la part de la reine et de la junte, une copie authentique