Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/329

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elle n’est pas moins sentie en France, et si on prend garde à la mécanique de l’opération, on la trouvera également incroyable et monstrueuse.

Toutes ces grandesses françaises s’établirent comme les duchés, excepté qu’en France l’érection précède le rang et les honneurs dont l’impétrant ne jouit qu’ensuite et en conséquence, au lieu qu’en Espagne ils précèdent l’érection ; mais tout tomberoit à l’impétrant même si l’érection ne suivoit pas, à moins que, comme la grandesse de Bournonville, elle ne fût sur le nom même ; ce qui est très rare en Espagne, et n’existe en aucun grand françois.

L’érection faite et passée au conseil de Castille, il faut des lettres patentes du roi enregistrées au parlement et en la chambre des comptes, avec un nouvel hommage de l’impétrant au roi, enfin faire enregistrer ces mêmes lettres patentes au conseil de Castille ; la contrariété de ces opérations est inexplicable. Par l’érection, le roi d’Espagne exerce en France le plus grand acte de souveraineté sur une terre de la souveraineté du roi, et se fait un vassal du premier ordre, pour ne pas dire un sujet, d’un sujet du roi ; et à quel titre ? d’une terre située en France, de la mouvance directe ou indirecte de la couronne, puisque tout fief lui est reporté, et d’une terre de sa pleine souveraineté, qui n’en est point pour cela détachée ; en sorte que le possesseur de cette terre, primordialement sujet et vassal du roi son seigneur suzerain et souverain, le devient, au même titre et par la même possession, d’un autre monarque, dans le royaume duquel il ne vit point, et dans le royaume duquel cette terre n’est pas située. C’est néanmoins sur cette opération, à laquelle on ne peut donner de nom, qu’interviennent les lettres patentes du roi pour l’approuver et la ratifier, qui pour la France reçoivent leur dernière consommation de leur enregistrement au parlement et en la chambre des comptes. Ce n’est pas tout, il faut encore que cette approbation, cette permission du roi, cette ratification du parlement