Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/369

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séparément m’accablèrent des mêmes raisons, comme s’ils les avoient concertées ensemble.

Je ne les avoit pas pris pour juges, pour appeler après de leur décision. Je pris donc mon parti ; mais je crus souvent l’avoit bien pris que je sentois que je balançois encore ; j’eus besoin de ma colère et de mon dépit, et de me rappeler encore ce que j’avois vu arriver à M. le maréchal de Lorges à la tête de l’armée du Rhin, par les intendants La Fonds et La Grange, soutenus de la cour, et au maréchal de Choiseul dans le même emploi, que j’ai l’un et l’autre racontés en leur lieu, sans compter tout ce qui se trouve à essuyer de ce genre, avant que d’arriver au commandement des armées. Près de trois mois se passèrent dans ces angoisses intérieures jusqu’à ce que je pusse me déterminer. Finalement je le fis, et lorsqu’il en fallut venir à l’exécution, je suivis encore le conseil des mêmes personnes : je ne laissai point échapper de paroles de mécontentement, et content du public, et surtout du militaire sur mon oubli dans la promotion, je le laissai dire. Pour moi, la colère du roi était inévitable. Ces messieurs m’y avoient préparé, et je m’y étois bien attendu.

Oserai-je dire qu’elle ne m’étoit pas indifférente ? Il s’offensoit quand on cessoit de servir. Il appeloit cela le quitter, encore plus des gens distingués.

Mais ce qui le piquoit au vif, c’étoit de quitter sur une injustice, et il le faisoit toujours du moins longtemps sentir. Mais les mêmes personnes ne mirent jamais de proportion entre cette suite de quitter, qui après tout, à mon âge avoit son bout, et la honte et le dégoût de servir dans la situation où j’étois.

Ils crurent cependant que le respect et la prudence vouloient également tout le ménagement qui s’y pouvoit apporter.

Je fis donc une lettre courte au roi, par laquelle sans plainte aucune, ni la moindre mention d’aucun mécontentement, et sans parler de régiment ni de promotion, je lui marquois mon déplaisir que la nécessité de ma mauvaise