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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/376

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former au bout de la rue, en face de lui. Il savoit, par l’ordre donné la veille, que personne ne devoit marcher, ni autre que lui faire de revue. Il craignit donc tout aussitôt quelque surprise, marcha sur-lechamp à ces troupes qu’il trouva impériales, les charge, les renverse, soutient le choc des nouvelles qui arrivent, engage un combat si opiniâtre, qu’il donne le temps à toute la ville de se réveiller, et à la plupart des troupes de prendre les armes et d’accourir, qui sans lui eussent été égorgées endormies.

À cette même pointe du jour, le maréchal de Villeroy écrivoit déjà tout habillé dans sa chambre ; il entend du bruit, demande un cheval, envoie voir ce que c’est, et, le pied à l’étrier, apprend de plusieurs à la fois que les ennemis sont dans la ville. Il enfile la rue pour gagner la grande place, où est toujours le rendez-vous en cas d’alarme. Il n’est suivi que d’un seul aide de camp et d’un seul page. Au détour de la rue, il tombe dans un corps de garde qui l’environne et l’arrête. Lui troisième sentit bien qu’il n’y avoit pas à se défendre ; il se jette à l’oreille de l’officier, se nomme, lui promet dix mille pistoles et un régiment, s’il veut le lâcher, et de plus grandes récompenses du roi. L’officier se montre inflexible, lui répond qu’il n’a pas servi l’empereur jusqu’alors pour le trahir, et de ce pas le conduit au prince Eugène, qui ne le reçut pas avec la même politesse qu’il l’eût été de lui en pareil cas. Il le laissa quelque temps à sa suite, pendant lequel le maréchal voyant amener Crenan prisonnier et blessé à mort, il s’écria qu’il voudroit être en sa place. Un moment après ils furent envoyés tous deux hors de la ville, et ils passèrent la journée à quelque distance, gardés dans le carrosse du prince Eugène.

Revel, seul lieutenant général désormais, et commandant en chef par la prise du maréchal de Villeroy, tâcha de rallier les troupes. Chaque rue fournissoit un combat, [les troupes] la plupart dispersées, quelques-unes en corps, plusieurs à peine armées, et jusqu’à des gens en chemise qui tous combattoient