Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/399

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augmenté l’asthme qu’il avoit depuis plusieurs années. Il sentoit son état, et ce puissant génie ne le désavouoit pas. Il fit faire des consultations aux plus célèbres médecins de l’Europe sous des noms feints, entre autres une à Fagon, sous celui d’un curé, lequel, y donnant de bonne foi, la renvoya sans ménagement et sans conseil autre que celui de se préparer à une mort prochaine. Le mal augmentant ses progrès, Guillaume consulta de nouveau, mais à découvert.

Fagon, qui le fut, reconnut la maladie du curé. Il ne changea pas d’avis, mais il fut plus considéré, et prescrivit avec un savant raisonnement les remèdes qu’il jugea les plus propres, sinon pour guérir, au moins pour allonger. Ces remèdes furent suivis et soulagèrent ; mais enfin, les temps étoient arrivés où Guillaume devoit sentir que les plus grands hommes finissent comme les plus petits, et voir le néant de ce que le monde appelle les plus grandes destinées.

Il se promenoit encore quelquefois à cheval, et il s’en trouvoit soulagé, mais n’ayant plus la force de s’y tenir, par sa maigreur et sa faiblesse, il fit une chute qui précipita sa fin par sa secousse. Elle fut aussi peu occupée de religion que l’avoit été toute la suite de sa vie. Il ordonna de tout, et parla à ses ministres et à ses familiers avec une tranquillité surprenante et une présence d’esprit qui ne l’abandonna point jusqu’au dernier moment. Quoique accablé de vomissements et de dévoiement dans les derniers jours de sa vie, uniquement rempli des choses qui la regardoient, il se vit finir sans regret avec la satisfaction d’avoir consommé l’affaire de la grande alliance, à n’en craindre aucune désunion par sa mort, et dans l’espérance du succès des grands coups que par elle il avoit projetés contre la France. Cette pensée, qui le flatta jusque dans la mort, même, lui tint lieu de toute consolation ; consolation frivole et cruellement trompeuse, qui le laissa bientôt en proie Ci d’éternelles vérités. On le soutint les deux derniers jours par des liqueurs fortes et des choses spiritueuses. Sa dernière nourriture fut une tasse