Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/452

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ce qui surprit tout le monde, parce qu’elle étoit délicate et quasi toujours malade. Ils demeurèrent d’accord qu’elle étoit morte d’une bile échauffée. L’ambassadeur d’Angleterre y étoit présent, auquel ils firent voir qu’elle ne pouvoit être morte que d’une colique qu’ils appelèrent un cholera-morbus. »

Un magistrat, qui notoit jour par jour les événements remarquables avec une complète impartialité, Olivier d’Ormesson, parle de même des causes de la mort de Madame : après avoir rappelé les principaux détails de cet événement, il écrit dans son Journal :« L’on parla aussitôt de poison, par toutes les circonstances de la maladie et par le mauvais ménage qui étoit entre Monsieur et elle, dont Monsieur étoit fort offensé et avoit raison. Le soir, le corps fut ouvert en présence de l’ambassadeur d’Angleterre et de plusieurs médecins qu’il avoit choisis, quelques-uns Anglois avec les médecins du roi. Le rapport fut que la formation de son corps étoit très mauvaise, un de ses poumons attaché au côté et gâté, et le foie tout desséché sans sang, une quantité extraordinaire de bile répandue dans tout le corps et l’estomac entier ; d’où l’on conclut que ce n’est pas poison ; car l’estomac auroit été percé et gâté. »

Mais ce qui est plus remarquable, c’est qu’un médecin qui n’avoit pas de caractère officiel et qui, par humeur, étoit plus porté à soupçonner le mal qu’à croire au bien, Gui Patin, attribue aussi la mort de Madame à une cause naturelle. Un mois après l’événement, il écrivait (1): « On parle encore de la mort de Mme la duchesse d’Orléans. Il y en a qui prétendent par une fausse opinion qu’elle a été empoisonnée. Mais la cause de sa mort ne vient que d’un mauvais régime de vivre, et de la mauvaise constitution de ses entrailles. Il est certain que le peuple, qui aime à se plaindre et à juger de ce qu’il ne connoît pas, ne doit pas être cru en telle matière. Elle est morte, comme je vous ai dit, par sa mauvaise conduite (mauvais régime), et faute de s’être bien purgée selon le bon conseil de son médecin, auquel elle ne croyoit guère, ne faisant rien qu’à sa tête. » Ce qui donne plus d’autorité au témoignage de Gui Patin, c’est que six ans avant la mort de Madame, dans une lettre du 26 septembre 1664, il parloit déjà de la mauvaise constitution de cette princesse : « Mme la duchesse d’Orléans, écrivoit-il à Falconet, est fluette, délicate et du nombre de ceux qu’Hippocrate dit avoir du penchant à la phtisie. Les Anglois sont sujets à leur maladie de consomption, qui

1.Cette lettre, en date du 30 juillet 1670, ne se trouve pas dans l’édition récente du docteur Reveillé-Parise, mais dans celle de la Haye (1725, 3 vol. in-12). Elle a été citée par M. Floquet dans ses Études sur la vie de Bossuet, t. III, p. 410. On trouve réunis dans ce savant ouvrage tous les documents relatifs à la mort de Madame.