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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/453

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en est une espèce, une phtisie sèche ou un flétrissement de poumon. » L’autorité de Gui Patin suffiroit pour prouver combien le doute est permis en pareille matière. On peut y ajouter la Relation de la maladie, mort et ouverture du corps de Madame, par l’abbé Bourdelot [1], et l’opinion de Valot sur les causes de la mort de Madame [2]. Ces médecins, avec lesquels Gui Patin est si rarement d’accord, rejettent, comme lui, l’empoisonnement, parmi les contes populaires.

Je terminerai l’énumération des autorités contemporaines qui repoussent le bruit de l’empoisonnement de Madame par la lettre de Bossuet, qui assista cette princesse à ses derniers moments ; elle est datée de juillet 1670 [3] : « Je crois que vous avez su que je fus éveillé, la nuit du dimanche au lundi, par ordre de Monsieur, pour aller assister Madame, qui étoit à l’extrémité, à Saint-Cloud, et qui me demandoit avec empressement. Je la trouvai avec une pleine connoissance, parlant et faisant toutes choses sans trouble, sans ostentation, sans effort et sans violence, mais si bien et si à propos, avec tant de courage et de piété que j’en suis encore hors de moi. Elle avoir déjà reçu tous les sacrements, même l’extrême-onction, qu’elle avoit demandée au curé qui lui avoit apporté le viatique, et qu’elle pressoit toujours, afin de les recevoir avec connoissance. Je fus une heure auprès d’elle, et lui vis rendre les derniers soupirs en baisant le crucifix [4], qu’elle tint à la main, attaché à sa bouche, tant qu’il lui resta de force. Elle ne fut qu’un moment sans connoissance. Tout ce qu’elle a dit au roi, à Monsieur et à tous ceux qui l’environnoient étoit court, précis, et d’un sens admirable. Jamais princesse n’a été plus regrettée ni plus admirée ; et ce qui est plus merveilleux est que, se sentant frappée, d’abord elle ne parla que de Dieu, sans témoigner le moindre regret. Quoiqu’elle sût que sa mort alloit être assurément très agréable à Dieu, comme sa vie avoir été très glorieuse par l’amitié et la confiance de deux grands rois, elle s’aida, autant qu’elle put, en prenant tous les remèdes avec cœur ; mais elle n’a jamais dit un mot de plainte de ce qu’ils n’opéroient pas, disant seulement qu’il falloit mourir dans les formes.

  1. Cette relation a été publiée par Poncet de La Grave dans ses Mémoires intéressants pour servir à l’histoire de France, t. III, p. 411.
  2. Bibl. de l’Arsenal, ms Conrart, t. XIII, p. 779.
  3. Cette lettre a été publiée par M. Floquet, d’abord dans la Bibliothèque de l’École des Chartes (2e série, t. Ier, p. 114), et ensuite dans ses Études sur la vie de Bossuet (t. III, p. 416 et suiv.). Elle est tirée des Mémoires manuscrits de Philibert de La Mare. Je n’en cite que la partie qui a trait à la question examinée dans cette note.
  4. Daniel de Cosnac, qui avait été aumônier de Madame, confirme ces détails dans une relation étendue de sa mort. Voy., l’introduction à ses Mémoires, publiés par la Société de l’Histoire de France, t. Ier, p. xlvii et suiv.