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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/63

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sans nombre, dont je rapporterai deux ou trois seulement, parce qu’elles le caractérisent lui et ceux dont il s’y agit. Il avoit fort près de Chantilly une belle terre et bien bâtie qu’il aimoit fort, et où il alloit souvent ; il rendoit force respects à M. le Prince (c’est du dernier mort dont je parle), mais il étoit attentif à ne s’en pas laisser dominer chez lui. M. le Prince, fatigué d’un voisinage qui le resserroit, et peut-être plus que lui, ses officiers de chasse, fit proposer à Rose de l’en accommoder ; celui-ci n’y voulut jamais entendre ni s’en défaire pour quoi que ce fût. À la fin M. le Prince, hors de cette espérance, se mit à lui faire des niches pour le dégoûter et le résoudre ; et de niche en niche, il lui fit jeter trois ou quatre cents renards ou renardeaux, qu’il fit prendre et venir de tous côtés, pardessus les murailles de son parc. On peut se représenter quel désordre y fit cette compagnie, et la surprise extrême de Rose et de ses gens d’une fourmilière inépuisable de renards venus là en une nuit.

Le bonhomme, qui étoit colère et véhément et qui connoissoit bien M. le Prince, ne se méprit pas à l’auteur du présent. Il s’en alla trouver le roi dans son cabinet, et tout résolument lui demanda la permission de lui faire une question peut-être un peu sauvage. Le roi fort accoutumé à lui et à ses goguenarderies, car il étoit plaisant et fort salé, lui demanda ce que c’étoit.

« Ce que c’est, sire, lui répondit Rose d’un visage enflammé, c’est que je vous prie de me dire si nous avons deux rois en France. — Qu’est-ce à dire ? dit le roi surpris, et rougissant à son tour. — Qu’est-ce à dire ? répliqua Rose, c’est que si M. le Prince est roi comme vous, il faut pleurer et baisser la tête sous ce tyran. S’il n’est que premier prince du sang, je vous en demande justice, sire, car vous la devez à tous vos sujets, et vous ne devez pas souffrir qu’ils soient la proie de M. le Prince. » Et de là lui conte comme il l’a voulu obliger à lui vendre sa terre, et après l’y forcer en le persécutant, et raconte