Aller au contenu

Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/65

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

défendoit comme il pouvoit. Ce dialogue amassa les ministres, et ce qu’il y avoit là de principal autour d’eux. Comme Rose se vit bien environné et le conseil sur le point d’être appelé, il prend respectueusement M. le Prince par le bout du bras avec un souris fin et malin : « Serait-ce point, monsieur, lui dit-il, que vous voudriez vous faire premier prince du sang ?  » et à l’instant fait la pirouette, et s’écoule. Qui demeura stupéfoit ? ce fut M. le Prince, et toute l’assistance à rire sans pouvoir s’en empêcher. C’étoit là, de ces tours hardis de Rose ; celui-là fit plusieurs jours l’amusement et l’entretien de la cour. M. le Prince fut enragé ; mais il ne put et n’osa que dire.

Il n’y avoit guère plus d’un an de cette aventure, lorsque ce bonhomme mourut.

Il n’avoit jamais pardonné à M. de Duras un trait, qui en effet fut une cruauté.

C’étoit à un voyage de la cour ; la voiture de Rose avoit été, je ne sais comment, déconfite. D’impatience, il avoit pris un cheval. Il n’étoit pas bon cavalier ; lui et le cheval se brouillèrent, et le cheval s’en défit dans un bourbier. Passa M. de Duras, à qui Rose cria à l’aide de dessous son cheval au milieu du bourbier. M. de Duras, dont le carrosse alloit doucement dans cette fange, mit la tête à la portière, et pour tout secours se mit à rire et à crier que c’étoit là un cheval bien délicieux, de se rouler ainsi sur les roses ; et continua son chemin et le laissa là. Vint après le duc de Coislin, qui fut plus charitable, et qui le ramassa ; mais si furieux et si hors de soi de colère, que la carrossée fut quelque temps sans pouvoir apprendre à qui il en avoit. Mais le pis fut à la couchée. M. de Duras, qui ne craignoit personne, et qui avoit le bec aussi bon que Rose, en avoit fait le conte au roi et à toute la cour, qui en rit fort. Cela outra Rose à un point qu’il n’a depuis jamais approché de M. de Duras, et n’en a parlé qu’en furie, et quand quelquefois il hasardoit devant le roi quelque lardon sur lui, le roi se mettoit à rire, et lui parloit du bourbier.