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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/69

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ses ordres. Il ne fit jamais mal à qui que ce soit, et se servit toujours de son crédit pour obliger. Grand nombre de gens, même de personnages lui durent leur fortune, sur quoi il étoit d’une modestie à se brouiller avec eux, s’ils en avoient parlé jusqu’à luimême.

Il aimoit, vouloit et procuroit les grâces pour le seul plaisir de bien faire, et il se peut dire de lui qu’il fut toute sa vie le père des pauvres, la ressource des affligés et des disgraciés qu’il connoissoit le moins, et peut-être le meilleur des humains, avec des mains non seulement parfaitement nettes, mais un désintéressement entier et une application extrême à tout ce qui étoit sous sa charge. Aussi, quoique fort diminué de crédit pour les autres par son âge et sa pesanteur, sa perte causa un deuil public et à la cour et à Paris, et dans les provinces ; chacun en fut affligé comme d’une perte particulière, et il est également innombrable et inouï tout ce qui fut volontairement rendu à sa mémoire, et de services solennels célébrés partout pour lui. J’y perdis un ami sûr, plein de respect et de reconnoissance pour mon père, comme je l’ai dit ailleurs. Il laissa deux fils qui ne lui ressemblèrent en rien ; l’aîné ayant sa survivance de premier valet de chambre, l’autre premier valet de garde-robe.

Bloin, autre premier valet de chambre, eut l’intendance de Versailles et de Marly, au père de qui, pour cet emploi, Bontems avoit succédé. Bloin eut aussi la confiance des paquets secrets et des audiences inconnues. C’étoit un homme de beaucoup d’esprit, qui étoit galant et particulier, qui choisissoit sa compagnie dans le meilleur de la cour, qui régnoit chez lui dans l’exquise chère, parmi un petit nombre de commensaux grands seigneurs, ou de gens qui suppléoient d’ailleurs aux titres, qui étoit froid, indifférent, inabordable, glorieux, suffisant et volontiers impertinent ; toutefois peu méchant, mais à qui pourtant il ne falloit pas déplaire. Ce fut un vrai personnage et qui se fit valoir et courtiser par les plus grands et par les ministres, qui savoit