Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/72

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Les mesures furent si secrètes et si justes, et leur exécution si profonde, si exacte et si à un point nommé, que le dimanche matin, 6 février, les troupes françaises entrèrent toutes au même instant dans toutes les places espagnoles des Pays-Bas à portes ouvrantes, s’en saisirent, prirent les troupes hollandaises entièrement au dépourvu, les surprirent, les dépostèrent, les désarmèrent, sans que dans pas une il fût tiré une seule amorce. Les gouverneurs espagnols et les chefs de nos troupes leur déclarèrent qu’ils n’avoient rien à craindre, mais que le roi d’Espagne vouloit de nos troupes au lieu des leurs, et qu’ils demeureroient ainsi arrêtés jusqu’à ce qu’on eût reçu les ordres du roi. Ils furent très différents de ce qu’ils attendoient et de ce qu’on devoit faire. L’ardeur de la paix fit croire au roi qu’en renvoyant ces troupes libres avec leurs armes et toutes sortes de bons traitements, un procédé si pacifique toucheroit et rassureroit les Hollandois, qui avoient jeté les hauts cris à la nouvelle de l’introduction de nos troupes, et leur persuaderoit d’entretenir la paix avec des, voisins, des bonnes intentions desquels ils ne pouvoient plus douter après un si grand effet. Il se trompa.

Ce fut vingt-deux, très bons bataillons tout armés et tout équipés qu’il leur renvoya, qui leur auroient fait grande faute, qui les auroient mis hors d’état de faire la guerre, et par conséquent fort déconcerté l’Angleterre, l’empereur et toute cette grande alliance qui se bâtissoit et s’organisoit contre les deux couronnes. Le vendredi 11 février, c’est-à-dire six jours après l’occupation des places et la détention des vingt-deux bataillons hollandois, l’ordre du roi partit, portant liberté de s’en aller chez eux avec armes et bagages, dès qu’ils seroient rappelés par les États. Ceux-ci, qui n’espéroient rien moins, reçurent cette nouvelle avec, une joie inespérée et des marques de reconnoissance qui servirent de couverture nouvelle encore plus spécieuse de leurs mauvais desseins, et frémissant cependant du danger qu’ils avoient