Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/85

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le temps que M. de Savoie se flatta que cet immense succession regarderoit le prince de Piémont qui est mort avant lui ; et toutefois à la lire, qui ne soupçonneroit qu’elle est faite d’aujourd’hui ? c’est-à-dire, vingt-cinq ans après la mort de Louis XIV, qu’elle a commencé à paroître, quelques années depuis la mort de l’auteur, et à l’instant défendue, pourchassée, et traitée comme les ouvrages les plus pernicieux, qui toutefois n’en a été que plus recherchée et plus universellement goûtée et admirée.

M. de Beauvilliers, dont le mal étoit un dévoiement qui le consumoit depuis longtemps et auquel la fièvre s’étoit jointe, eut bien de la peine à gagner sa maison de Saint-Aignan, près de Loches, où il fut à l’extrémité. J’avois su, depuis son départ, que Fagon l’avoit condamné, et ne l’avoit envoyé à Bourbon, peu avant ce voyage, que par se trouver à bout, sans espérance de succès, et pour se délivrer du spectacle en l’envoyant finir au loin. À cette nouvelle de Saint-Aignan, je courus chez le duc de Chevreuse, pour l’exhorter de mettre toute politique à part et d’y envoyer diligemment Helvétius, et j’eus une grande joie d’apprendre de lui qu’il en avoit pris le parti, et qu’il partoit lui-même le lendemain avec Helvétius.

C’étoit un gros Hollandois qui, pour n’avoir pas pris les degrés de médecine, étoit l’aversion des médecins, et en particulier l’horreur de Fagon, dont le crédit étoit extrême auprès du roi, et la tyrannie pareille sur la médecine et sur ceux qui avoient le malheur d’en avoir besoin. Cela s’appeloit donc un empirique dans leur langage, qui ne méritoit que mépris et persécution, et qui attiroit la disgrâce, la colère et les mauvais offices de Fagon sur qui s’en servoit. Il y avoit pourtant longtemps qu’Helvétius étoit à Paris, guérissant beaucoup de gens rebutés ou abandonnés des médecins, et surtout les pauvres, qu’il traitoit avec une grande charité. Il eu recevoit tous les jours chez lui à heure fixée tant qu’il en vouloit venir, à qui il fournissoit les remèdes