Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 4.djvu/175

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de la sorte, et sûre à peu près de l’Espagne si la France la vouloit soutenir, elle flatta Mme de Maintenon par degrés, pour ne s’avancer qu’avec justesse, et parvint à la persuader que son crédit ne seroit que le sien, que si on lui laissoit quelque autorité dans les affaires, elle n’en useroit que pour la croire et lui obéir aveuglément ; que par elle à Madrid, elle à Versailles régneroit en Espagne, plus absolument encore qu’elle ne faisoit en France, puisqu’elle n’auroit besoin d’aucun détour, mais seulement de commander ; enfin, qu’elle ne pourroit atteindre ce degré de puissance que par la sienne, qui n’auroit et ne pouvoit espérer d’autre appui, au lieu que les ambassadeurs se gouverneroient par le ministère de France, lesquels les uns et les autres agiroient directement du roi au ministère d’Espagne, et indépendamment d’elle, qui ignoreroit même la plupart des choses, et ne seroit au fil de rien, ni en état d’influer en rien que par des contours longs et incertains, sur les choses seulement qu’elle apprendroit du roi même.

Mme de Maintenon, dont la passion étoit de savoir tout, de se mêler de tout, et de gouverner tout, se trouva enchantée par la sirène. Cette voie de gouverner l’Espagne sans moyens de ministres lui parut un coup de partie.

Elle l’embrassa avec avidité, sans comprendre qu’elle ne gouverneroit qu’en apparence, et feroit gouverner Mme des Ursins en effet, puisqu’elle ne pourroit rien savoir que par elle, ni rien voir que du côté qu’elle lui présenteroit. De là cette union si intime entre ces deux si importantes femmes, de là cette autorité sans bornes de Mme des Ursins, de là la chute de tous ceux qui avoient mis Philippe V sur le trône, et de tous ceux dont les conseils l’y pouvoient maintenir, et le néant de nos ministres sur l’Espagne, et de nos ambassadeurs en Espagne, dont aucun ne s’y put soutenir qu’en s’abandonnant sans réserve à la princesse des Ursins. Telle fut son adresse, et telle la faiblesse du roi, qui aima mieux gouverner son petit-fils par la reine, que de le conduire directement