Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 4.djvu/25

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même fort orné, de beaucoup d’imagination, et dont le trop de feu nuisoit quelquefois à ses talents pour la guerre, et souvent à sa conduite particulière, bon partisan, hardi dans ses projets, et concerté dans son exécution, surtout fort désintéressé. Il n’avoit de patrie que l’armée et les frontières, et toute sa vie avoit fait la guerre, été et hiver, presque toujours en Allemagne. La manie de se rendre terrible aux ennemis l’avoit rendu singulier ; il avoit réussi à faire peur de son nom par ses fréquentes entreprises, et à tenir alerte vingt lieues à sa portée de pays ennemi. Il se divertissoit à se faire croire sorcier à ces peuples, et il en plaisantoit le premier. Il étoit assez épineux et très fâcheux à ceux qu’il soupçonnoit de ne lui vouloir pas de bien, et trop facile à croire qu’on manquoit d’égards pour lui. D’ailleurs, doux et très bon homme, et qui souffroit tout de ses amis ; fort commode et jamais incommode à un général et à tous ses supérieurs, mais fort peu aux intendants ; sans intrigue et sans commerce avec le secrétaire d’État de la guerre, et comme il avoit les mains fort nettes, fort libre sur ce qui ne les avoit pas ; sobre, simple et particulier ; toujours ruminant ou parlant guerre avec une éloquence naturelle, et un choix de termes qui surprenoit, sans en chercher aucun. Il était particulièrement attaché à MM. de Duras et de Lorges, surtout à mon beaupère, qui me le recommanda autant que je le pourrois, quand il ne seroit plus.

Il prit de travers une politesse du chevalier d’Asfeld chez le maréchal de Choiseul, contre lequel il s’emporta étrangement en présence de plusieurs officiers généraux. M. de Chamilly m’en vint avertir. J’allai trouver le maréchal, qui auroit pu le punir et de la chose et du manque de respect chez lui, mais qui voulut bien ne pas songer à ce qui le regardoit. Je vis après Mélac, et je ne puis mieux témoigner combien il étoit endurant pour ses amis que de dire que je ne le ménageai point, jusqu’à en être honteux à mon âge et seulement colonel, et lui lieutenant général