Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 4.djvu/268

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

un ambassadeur, et si destructive de son devoir et de son ministère, devint à la fin insupportable à l’abbé d’Estrées. Il commença donc à lui souffler quelques dépêches. Son, adresse n’y fut pas telle que la princesse, si attentive à tout, si crainte, et si bien obéie, n’en eût le vent par le bureau de la poste. Elle prit ses mesures pour être avertie à temps la première fois que cela arriveroit ; elle la fut, et n’en fit pas à deux fois. Elle envoya enlever la dépêche de l’abbé d’Estrées au roi. Elle l’ouvrit, et, comme elle l’avoit bien jugé, elle n’eut pas lieu d’en être contente ; mais ce qui la piqua le plus, ce fut que l’abbé détaillant sa conduite et ce conseil où tout se portoit et se décidoit, composé d’elle, d’Orry et très souvent de d’Aubigny, exagérant l’autorité de ce dernier, ajoutoit que c’étoit son écuyer, qu’on ne doutoit point qu’elle n’eût épousé.

Outrée de rage et de dépit, elle mit en marge à côté, de sa main : Pour mariée, non, montra la lettre en cet état au roi et à la reine d’Espagne et à beaucoup de gens de cette cour avec des clameurs étranges, et ajouta à cette folie celle d’envoyer cette même lettre, ainsi apostillée, au roi, avec les plaintes les plus emportées contre l’abbé d’Estrées d’avoir écrit sans lui montrer sa lettre, comme ils en étoient convenus, et de l’injure atroce qu’il lui faisoit sur ce prétendu mariage.

L’abbé d’Estrées, de son côté, ne cria pas moins haut de la violation de la poste, de son caractère, et du respect dû au roi, méprisé au point d’intercepter, ouvrir, apostiller, rendre publique une lettre de l’ambassadeur du roi à Sa Majesté. La reine d’Espagne, animée par Mme des Ursins dont elle avoit épousé les intérêts sans bornes, éclata contre l’abbé d’Estrées de manière à mettre les choses au point que sa demeure en Espagne devint incompatible avec son autorité. Pour le roi son époux, il se mêla peu dans la querelle, mais ce peu fut en, faveur de la princesse des Ursins, soit qu’avec un bon sens qu’il eut toujours et droit en toutes choses, mais qu’il retenoit lui-même captif sous sa lenteur