Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 4.djvu/340

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M. le Prince, qui craignoit là-dessus le crédit de M. le Grand, et son habitude avec le roi de tout emporter d’assaut, fit sentir au roi, et plus encore aux ministres, les prétentions des ducs de Lorraine sur le Montferrat, fortifiées de l’engagement formel de l’empereur, pendant cette guerre, d’y soutenir le duc de Lorraine de tout son pouvoir, si le duc de Mantoue venoit à mourir sans enfants (que la nécessité lui fit changer depuis en faveur du duc de Savoie, mais en insistant sur un dédommagement au duc de Lorraine, comme on le verra dans les pièces concernant la paix d’Utrecht[1]) ; et le danger pour l’État de laisser mettre un pied en Italie au duc de Lorraine qui y rendroit l’empereur son protecteur d’autant plus puissant, et qui engageroit le roi à des ménagements même sur la Lorraine auxquels on n’étoit pas accoutumé, surtout en temps de guerre, et qui pouvoient devenir embarrassants. Ces raisons se firent sentir, le roi promit à M. le Prince tous les bons offices qui ne sentiroient ni la contrainte ni l’autorité ; mais la laideur de Mlle d’Enghien mit un obstacle invincible à cette affaire.

M. de Mantoue aimoit les femmes, il vouloit des enfants ; il s’expliqua sur les désirs de M. le Prince d’une façon respectueuse qui ne le pût blesser, mais si nette, qu’il n’osa plus espérer. La maison de Lorraine, informée par Vaudemont des démarches qu’il avoit faites, et que la timidité de ce petit souverain, à l’égard du gouverneur du Milanois, avoit fait recevoir avec quelque agrément, ne trouva pas à Paris ses dispositions si favorables. Dès avant de partir de chez lui, son choix étoit fait et arrêté. Soupant avec le duc de Lesdiguières peu de temps avant sa mort, il avoit vu à son doigt un petit portrait en bague, qu’il le pria de lui montrer ; ayant la bague entre ses mains, il fut charmé du portrait, et dit à M. de Lesdiguières qu’il le trouvoit bien heureux d’avoir une si belle maîtresse. Le duc de Lesdiguières

  1. Voy., sur ces Pièces, t. Ier, p. 437, note.