Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 4.djvu/38

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presque jamais par écrit, et toujours vagues, généraux, et sous prétexte d’estime et de confiance, avec des propos ampoulés se réservant toujours des moyens de s’attribuer tout le succès, et de jeter les mauvais sur les exécuteurs. Depuis qu’il fut arrivé à la tête des armées, son audace ne fut plus qu’en paroles. Toujours le même en valeur personnelle, mais tout différent en courage d’esprit. Étant particulier, rien de trop chaud pour briller et pour percer. Ses projets étoient quelquefois plus pour soi que pour la chose, et par là même suspects ; ce qui ne fut pas depuis pour ceux dont il devoit être chargé de l’exécution, qu’il n’étoit pas fâché de rendre douteuse aux autres, quand c’étoit sur ceux qu’elle devoit rouler. À Friedlingen il y alloit de tout pour lui, peu à perdre, ou même à différer si le succès ne répondoit pas à son audace, dans une exécution refusée par Catinat ; le bâton à espérer s’il réussissoit ; mais quand il l’eut obtenu, le matamore fut plus réservé, dans la crainte des revers de fortune, laquelle il se promettoit de pousser au plus haut, et il lui a été reproché depuis, plus d’une fois, d’avoir manqué des occasions uniques, sûres et qui se présentoient d’elles-mêmes. Il se sentoit alors d’autres ressources.

Parvenu au suprême honneur militaire, il craignoit d’en abuser à son malheur ; il en voyoit des exemples. Il voulut conserver la verdeur des lauriers qu’il avoit dérobés par la main de la fortune, et se réserver ainsi l’opinion de faire la ressource des malheurs, ou des fautes des autres généraux. Les intrigues ne lui étoient pas inconnues ; il savoit prendre, le roi par l’adoration, et se conserver Mme de Maintenon par un abandon à ses volontés sans réserve et sans répugnance ; il sut se servir du cabinet dont elle lui avoit ouvert la porte ; il y ménagea les valets les plus accrédités ; hardiesse auprès du roi, souplesse et bassesse avec cet intérieur, adresse avec les ministres ; et porté par Chamillart, dévoué à Mme de Maintenon, cette conduite suivie en présence, et