Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 4.djvu/382

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de Fontainebleau cette année, fut fort bien traité du roi dans l’audience qu’il en eut. Comme il avoit beaucoup d’esprit et de connoissance du roi, il s’avisa tout à coup de tirer hardiment sur le temps, et comme le roi lui témoignoit de l’amitié et de la satisfaction de sa gestion en Suisse, il lui demanda s’il étoit bien vrai qu’il fût content de lui, si ce n’étoit point discours, et s’il y pouvoit compter. Sur ce que le roi l’en assura, il prit un air gaillard et assuré et lui répondit que pour lui il n’étoit pas de même, et qu’il n’étoit pas content de Sa Majesté. « Et pourquoi donc, Puysieux ? lui dit le roi. — Pourquoi, sire ? parce qu’étant le plus honnête homme de votre royaume, vous ne laissez pas pourtant de me manquer de parole depuis plus de cinquante ans. — Comment, Puysieux, reprit le roi, et comment cela ? — Comment cela, sire ? dit Puysieux, vous avez bonne mémoire et vous ne l’aurez pas oublié. Votre Majesté ne se souvientelle pas qu’ayant l’honneur de jouer avec vous à colin-maillard, chez ma grand’mère, vous me mîtes votre cordon bleu sur le dos pour vous mieux cacher au colin-maillard, et que lorsque après le jeu je vous le rendis, vous me promîtes de m’en donner un quand vous seriez le maître ; il y a pourtant longtemps que vous l’êtes, et bien assurément, et toutefois ce cordon bleu est encore à venir. » Le roi s’en souvint parfaitement, se mit à rire, et lui dit qu’il avoit raison ; qu’il lui vouloit tenir parole et qu’il tiendroit un chapitre exprès avant le premier jour de l’an pour le recevoir ce jour-là. En effet, le jour même il en indiqua un pour le chapitre et dit que c’étoit pour Puysieux.

Ce fait n’est pas important, mais il est plaisant. Il est tout à fait singulier avec un prince aussi sérieux et aussi imposant que Louis XIV ; et ce sont de ces petites anecdotes de cour qui ont leur curiosité.

En voici une plus importante et de laquelle l’État se sent encore.

Pontchartrain, secrétaire d’État de la marine, en étoit le fléau, comme de tous ceux qui étoient sous sa cruelle dépendance. C’étoit un homme qui avoit de l’esprit,