Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 4.djvu/432

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l’heure des visites importantes, et nous causions avec la même liberté qu’autrefois. Je sus par elle beaucoup de détails d’affaires, et la façon de penser du roi, de Mme de Maintenon surtout, sur beaucoup de gens. Nous riions souvent ensemble de la bassesse qu’elle éprouvoit des personnes les plus considérées, et du mépris qu’elles s’en attiroient sans qu’elle le leur témoignât, et de la fausseté d’autres fort considérables qui, après lui avoir fait, et nouvellement à son arrivée, du pis qu’elles avoient pu, lui prodiguoient les protestations, et tâchoient à lui vanter leur attachement dans tous les temps, et à faire valoir leurs services.

J’étois flatté de cette confiance de la dictatrice de la cour. On y fit une attention qui m’attira une considération subite, outre que force gens des plus distingués me trouvoient les matins seul avec elle, et que les messages qui lui pleuvoient rapportoient qu’ils m’y avoient trouvé, et très ordinairement qu’ils n’avoient pu parler à elle. Elle m’appeloit souvent dans le salon, ou d’autres fois j’allois lui dire un mot à l’oreille, avec un air d’aisance et de liberté fort envié et fort peu imité. Elle ne trouvoit jamais Mme de Saint- Simon sans aller à elle, la louer, la mettre dans la conversation de ce qui était autour d’elle, souvent de la mener devant une glace, et de raccommoder sa coiffure ou quelque chose de son habit, comme en particulier elle auroit pu faire à sa fille ; assez souvent elle la tiroit de la compagnie, et causoit bas à part longtemps avec elle, toujours quelques mots bas de l’une à l’autre, et d’autres haut, mais qui ne se comprenoient pas. On se demandoit avec surprise, et beaucoup avec envie, d’où venoit une si grande amitié, dont personne ne s’étoit douté ; et ce qui achevoit de tourmenter la plupart, c’est que Mme des Ursins, sortant de la chambre de Mme de Maintenon, d’avec le roi et elle, ne manquoit guère d’aller à Mme de Saint-Simon, si elle la trouvoit dans le premier cabinet où elle avoit la liberté d’entrer avec quelques autres dames privilégiées, et la mener en un coin et de lui parler