Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 4.djvu/94

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avec de l’argent assez considérablement. Outre cela, il avoit soin de s’en informer dans le reste de l’année, et de mettre ordre qu’il eût de tout et fût à son aise. Rosen, devenu officier, [fut] attiré et protégé en France par Rosen, son parent de même nom, qui avoit un régiment et mille chevaux sous le grand Gustave Adolphe, à la bataille de Lutzen, puis sous le duc de Weimar, [qui] commanda en chef pour le roi en Alsace, et mourut en 1667, ayant donné sa fille en mariage à Rosen dont je parle.

C’étoit un grand homme sec, qui sentoit son reître, et qui auroit fait peur au coin d’un bois, avec une jambe arquée d’un coup de canon, ou plutôt du vent du canon, qu’il amenoit tout d’une pièce. Excellent officier, de cavalerie, très bon même à mener une aile, mais à qui la tête tournoit en chef, et fort brutal à l’armée et partout ailleurs qu’à table, où sans aucune ivrognerie il faisoit une chère délicate, et entretenoit sa compagnie de faits de guerre qui instruisoient avec plaisir. C’étoit un homme grossier à l’extérieur, mais délié au dernier point, et qui connoissoit à merveille à qui il avoit affaire, avec de l’esprit, du tour et de la grâce en ce qu’il disoit du plus mauvais françois du monde qu’il affectoit. Il connoissoit le roi et son foible et celui de la nation pour les étrangers ; aussi reprochoit-il à son fils qu’il parloit si bien françois qu’il ne seroit jamais qu’un sot. Rosen fut toujours bien avec les ministres et au gré de ses généraux, par conséquent du roi, qui l’employa toujours avec distinction, et qui pourvut souvent à sa subsistance. Châteaurenauld, Vauban et lui étoient grands-croix de Saint-Louis, et il fut mestre de camp général à la mort de Montclar, qu’il vendit à Montpéroux, lorsqu’il fut maréchal de France. En tout c’étoit un homme qui avoit voulu faire fortune, mais qui en étoit digne et bon homme et honnête homme, avec la plus grande valeur. Il m’avoit pris en amitié pendant la campagne de 1693, qui avoit toujours continué depuis, et me prêtoit tous les ans sa maison toute