Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/11

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étant au large, faire mieux qu’il n’avoit pu l’année précédente parmi tant de malignes contradictions. Pontchartrain, ravi de l’endormir de cette espérance, alloit au-devant de tout ce qui pouvoit l’entretenir. Pour cela, il falloit travailler quelquefois chez l’amiral avec le maréchal de Cœuvres, et quelquefois tous trois avec le roi. Le maréchal et Pontchartrain étoient demeurés fort mal ensemble, et le maréchal étoit outré de la compassion que le comte avoit eue de Mme de Pontchartrain. Cette situation néanmoins étoit gênante pour tous les deux avec la nécessité de ce travail. Le maréchal, abandonné du comte dans cette haine commune, s’ennuya de rester dans la nasse, et craignit le secrétaire d’État. Celui-ci avoit ses raisons pour n’être pas moins lassé d’être brouillé avec toute une famille si appuyée ; celle d’être plus en état de tromper le comte et le maréchal sur la flotte qu’ils se proposoient de commander, et qu’il avoit bien résolu de leur soustraire, fut un des plus puissants motifs qui le portèrent à ce frauduleux accommodement. Cette division importunoit le roi ; de part et d’autre on lui fit un sacrifice de ce que chacun désiroit par des vues fort différentes. Le duc de Noailles, toujours désireux de se mêler, prit cette affaire en main, et finalement il conclut le raccommodement et le consomma entre eux deux dans le cabinet du chancelier. Pour d’O, qui n’avoit point de travail à faire avec Pontchartrain, il vit d’un air froid et méprisant tous ces manèges, et demeura si réservé sur son raccommodement avec Pontchartrain, qu’on ne le put pas même entamer.

Vers la mi-mars, les maréchaux de Villeroy, Villars et Marsin travaillèrent ensemble avec le roi et Chamillart chez Mme de Maintenon, pour concerter les projets de la campagne : le premier pour la Flandre, le second pour la Moselle, oui on craignoit le principal effort des ennemis, le troisième pour l’Alsace. Villeroy partit quinze jours après pour aller à Bruxelles donner tous les ordres nécessaires ;