Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/127

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main de Boileau, furent envoyés au cardinal de Noailles. Les jésuites en triomphèrent, Boileau ne les put ni osa méconnoître. On à vu (t. II, p. 249) avec quelle bonté le cardinal de Noailles se défit de ce pernicieux hôte (qui n’avoit de pain que celui qu’il lui donnoit de sa propre table) en lui donnant un canonicat de Saint-Honoré qui lui fournit une très-honnête subsistance et un logement. Cette noire ingratitude ne se pouvoit excuser, non plus que la noirceur d’avoir si naturellement fait retomber ce cruel trait sur les jésuites, avec qui le cardinal de Noailles, évêque, archevêque et cardinal sans eux, et pensant fort différemment d’eux, ne fut jamais bien.

Le Charmel, qui voyoit souvent le cardinal de Noailles, et que le cardinal aimoit et distinguoit fort, cessa dans cet éclat de le voir, et continua avec Boileau le commerce et l’amitié la plus étroite. Le cardinal (je l’appelle ainsi sans distinction des temps où il ne l’étoit pas encore) en fut moins blessé que touché par amitié. Il fit parler au Charmel, le fit prier de le venir voir, l’obtint avec peine, lui parla lui-même. Tant d’avances furent inutiles ; le Charmel s’aigrit de plus en plus. Les jansénistes, fâchés que le cardinal n’épousât pas toutes leurs idées, et qui de dépit s’étoient portés à cette étrange extrémité, avoient infatué leur prosélyte, qui ne put jamais apercevoir d’ingratitude, de crime, de trahison, de noirceur où ils étoient si évidents ; et voilà où son peu d’esprit et de lumières, et un fol abandon de ce qu’il croyoit des saints, conduisirent un homme d’ailleurs si droit et si saint lui-même. Il faudroit prétendre porter les hommes au-dessus de toute humanité, pour se persuader que le cardinal de Noailles ne dût pas être très-sensible à la conduite du Charmel à son égard, surtout après celle qu’il avoit eue et avec Boileau et avec lui-même. Telle fut la faute inexcusable du Charmel à l’égard du cardinal de Noailles. Venons maintenant à celle qu’il fit dans la suite à l’égard du roi.